vendredi 28 septembre 2018

La chambre de Giovanni

Je l'ai lu en début d'année, souvenir déjà un peu confus, j'avais photographié quelques pages et maintenant je me demande ce qu'elles avaient de particulier. L'intérêt de ce livre est peut-être de rappeler qu'il ne s'agissait pas de quelque chose banale en 1956, mais l'est-elle vraiment devenue? Difficultés sociales, difficultés d'être - notamment cette fuite du temps et de la beauté des corps. Et l'amour compté avec parcimonie (mais cela, c'est pour tout le monde).

"Aime-le, dit Jacques avec véhémence, aime-le et laisse-le t'aimer. Tu crois qu'il y a autre chose qui compte sur cette terre? Et combien de temps penses-tu que ça puisse durer, au mieux, considérant que vous êtes des hommes et que vous avez la vie devant vous? Pas plus de cinq minutes, je te le garantis, cinq minutes, et la plus grande partie de ces cinq minutes, hélas! dans le noir. Et si tu penses qu'elles sont sordides, elles le seront parce que tu ne donneras rien, parce que tu mépriseras ton corps et le sien. Mais tu peux faire que ce soit tout le contraire, vous pouvez vous offrir l'un à l'autre quelque chose qui vous rendra meilleurs à tout jamais, si tu abandonnes cette honte, si tu ne fuis pas le risque. (Il s'interrompit, me regarda, baissa les yeux sur son cognac.) Si tu évite de prendre des risques longtemps, tu te retrouveras à tout jamais de ton propre corps sordide, comme moi."

 "Il m'attira contre lui, se glissant entre mes bras comme s'il se confiait à moi pour que je le porte, et il m'entraîna peu à peu vers le lit. Tout en moi hurlait: Non! et ce qui était vraiment moi soupirait: Oui."


samedi 15 septembre 2018

Somewhere in the heart of experience

Ouvrant rapidement le Quatuor, comme on replonge de temps en temps l'Evangile, les Faits de Marcel Cohen, les Fleurs du Mal, les poèmes de Cavafy:

"How greatly Pursewarden has gained in stature since his death! It was before as if he stood between his own books and our understanding of them. I see now that what we found enigmatic about the man was due to a fault in ourselves. An artist does not live a personal life as we do, he hides it, forcing us to go to his books if we wish to touch the true source of his feelings. Underneath all his preoccupations with sex, society, religion, etc. (all the staple abstractions which allow the forebrain to chatter) there is, quite simply, a man tortured beyond endurance by the lack of tenderness in the world."

"In the harbour of Alexandria the sirens whoop and wail. The screws of ships crush and crunch the green oil-coated waters of the inner bar. Idly bending and inclining, effortlessly breathing as if in the rhythm of the earth's own systole and diastole, the yachts turn their spars against the sky. Somewhere in the heart of experience there is an order and a coherence which we might surprise if we were attentive enough, loving enough, orpatient enough. Will there be time?"

dimanche 2 septembre 2018

Pendant l'été 1959 (2)

Splendide ville de Reggio di Calabria, élégante, et la belle Tropea, bien sûr, comme une petite Dubrovnik bordée de plages tropicales... Mais on retient surtout ces villages de l'Aspromonte aux églises en tôle, aux champs à peine travaillés, les petits commerces sortis des années 1950, les villageois assis le long du trottoir, l'un d'entre eux peu enclin à replier ses jambes de la route, comme ces chiens assoupis dans une léthargie dédaigneuse, persuadés que les rares voitures les contourneront.
A Pentedattilo, deux maisons-musées restaurées sous fonds européens sont évidemment fermées, et les deux boutiques d'artisanat vendent d'indigentes pyrogravures dignes de l'école maternelle, et de la peinture sur coquilles de moules (!).
Sur la Côte Sud, une immense plage de sable est laissée quasiment vierge, hormis la voie ferrée, quelques décharges, des pensions un peu miteuses... Au moins, la notion de "déclin" si angoissante pour tant d'Européens n'a pas cours ici, car il faudrait un point haut à partir duquel décliner.
La notion de "développement" semble lointaine aussi, car elle supposerait une volonté de rattraper le retard: on devine pourtant les efforts individuels, les subventions, les initiatives... A Gerace, le bar-glacier nous comble de petites bruschette puis fait déborder nos cornets dans une abondance périlleuse. A Lamezia, la serveuse nous prépare des crêpes car elle nous trouve sympathiques... Rien n'est facile, rien n'est indiqué (pas même l'incroyable plage de Santa Domenica, qu'il nous a fallu un peu de patience, et deux ragazzi fatigués, pour dénicher), rien ne s'achète vraiment. Peut-être est-ce la vraie vie, le vrai savoir-vivre, qui échappent au reste du continent.