lundi 7 décembre 2009

Minarets (2)

Jusqu'ici, depuis la décision des rois catholiques en Espagne, et si l'on exclut la question juive ou dans une moindre mesure la question protestante, le problème ne s'était plus posé à l'Europe occidentale de savoir comment accueillir une population différente en son sein. Il faut noter que ce sont plutôt les royaumes musulmans qui ont réussi à maintenir la diversité religieuse en leur sein, pendant plus d'un millénaire... En réalité, depuis l'éviction des derniers musulmans d'Espagne, c'était l'Europe qui s'installait ailleurs, et le rapport de force favorable faisait que nul ne se souciait de l'emprise architecturale de l'occident sur le monde. Cela a donné les grandes églises de Goa, de Macao, et l'imposition de nos monuments séculiers à la planète entière, du Bund de Shanghai au palais de la reine Ranavalona.
Revenons aux hommes. Ce que l'on observe avec nostalgie dans l'Est de l'Europe, c'est la disparition au fil du vingtième siècle de l'idée de cohabitation des cultures: on ne fera pas revivre un Kazimierz, ou la culture germanique de Wroclaw, un Balat ou un Fener - et ce n'est pas le cabanon du patriarche de Constantinople qui fait la moindre illusion. C'est pourtant ce que l'on observe encore (mais pour combien de temps, hélas!) à Damas ou Alep, dans la juxtaposition des quartiers chrétiens, chiites, et des villages d'autres confessions (à l'exception des juifs, qui ont déjà fui). Comme si, en Europe, la nation avait tué les échelons entre elle et l'individu. L'Europe orientale a répondu au problème par les déplacements de population et l'émiettement des territoires (dont la "nation" kosovare est le dernier avatar). Il y a d'ailleurs une contradiction flagrante entre le soutien de nos pays à la partition de la Serbie, au motif à peine dissimulé que les kosovars musulmans ne pourraient pas vivre avec les serbes chrétiens, et le discours de cohabitation interconfessionnelle asséné aux populations occidentales. Comme si une chose jugée impossible d'un côté des Balkans devenait une nécessité absolue et désirable de l'autre côté. (et après, on va me rebattre les oreilles pendant des jours sur les vingt ans de la chute du mur de Berlin!)...
Non sans ironie, ce sont dans nos vieilles nations d'Occident, d'où est né le concept d’État-nation, que la question des minorités se pose désormais. Faire de Paris ou de Londres l'équivalent de la Vienne ou de la Constantinople d'autrefois n'est pas une solution, car la juxtaposition reposait sur une cohabitation ancienne, dans des États qui n'avaient jamais cherché, auparavant, de justification nationale.
Le "modèle anglais" manque singulièrement d'ambition humaniste et de "grandeur" (mais qui se soucie de grandeur?); il revient en quelque sorte à ces métropoles cosmopolites de l'Europe d'autrefois, qui ne pouvaient se maintenir que dans des tyrannies ou, éphémèrement, dans des États en décrépitude.
Je ne crois pas non plus au "modèle français" parce qu'il est basé sur un mythe, une croyance; celle du "plébiscite de tous les jours". Or, à mes yeux, ce modèle a jusqu'ici surtout fonctionné parce que les populations intégrées étaient catholiques et blanches, et parce que la France leur offrait un modèle de culture valable, compatible, sans même compter son aspiration à l'universel... Tout le fatras idéologique de la nation française s'effondre quand, dans le simple regard des autres, de façon automatique, et non forcément par intention raciste, un Français d'origine étrangère et d'une "minorité visible" perçoit inévitablement sa différence. Même les bons esprits politiquement corrects (comme moi) renverront un sourire compensatoire, qui ne vaudra guère mieux.