"Pendant l'été 1959, l'hebdomadaire milanais Successo m'avait envoyé en reportage le long des côtes italiennes. (....) En Calabre me frappèrent le dénuement des villages, la sauvagerie du littoral, la tristesse des jeunes, le poids des interdits. (...) Il ne faisait pourtant aucun doute qu'une sympathie intense m'avait inspiré ces lignes sur l'abandon et la misère d'une province florissante au Ve siècle avant Jésus-Christ mais que n'avait plus jamais visité, comme la Sicile sous les Arabes ou la Pouille sous les Normands, le vent roboratif de l'histoire."
Peu à ajouter à ces mots de Dominique Fernandez prêtés à Pasolini dans son étonnante biographie romancée. Les descriptions de Dumas peut être (le dernier écrivain français, semble-t-il, à avoir mis les pieds en Calabre), qui rappelle des voyages à Madagascar ou au fond d'une Afrique qui n'existe même plus. On y voit des choses qu'on ne soupçonnerait même plus après 60 ans de "construction européenne". Et cette impression d'abandon, de défaite au milieu de la beauté... Il suffirait de quelques années pour changer tout cela (comme Pouilles et Sicile ont déjà grandement changé)... mais pourquoi changer ?!
Constructions éventrées par de mystérieux découragements (la mafia? les séismes?), dans l'Aspromonte ou même au bord des merveilleuses plages de Tropea, à moitié construites et déjà gagnées par la rouille et la végétation, si bien qu'on ignore si l'on est dans le déclin, dans l'investissement "divesti", si quelqu'un a cru un jour en ces projets ou fait mine d'y croire, ou a juste voulu marquer le terrain comme un chien qui laisserait quelques traces pour l'avenir. Mais même cette nonchalance est agréable, rafraîchissante. On ne se sent pas dans l'économie du profit, du client-roi, de la dépense frénétique, mais ramenés dans une autre ère plus indifférente à la marche du monde et aux lois de l'économie marchande.