jeudi 19 août 2021

Fin de règne

Interview intéressante d'Augustin Trapenard (un chroniqueur de France Inter) dans le Soir. Il y raconte son enfance et son adolescence dans une famille bourgeoise en Auvergne, ses difficultés pour affronter les codes en vigueur (comme dans toutes les familles de l'époque, ou quasi toutes). 
 
À tous les niveaux, à tous les âges, la norme brise. Hommes comme femmes en sont les victimes. Réussir à s'affranchir sereinement de la norme est la "clé du bonheur", peut-être, mais c'est un chemin difficile, par rapport à la soumission ou à l'opposition bruyante, qui sont les deux alternatives habituelles et insatisfaisantes. 
 
Pendant des années, je n'ai rencontré des individus qui semblaient tous faits du même moule, et qui semblaient tous incarner quelque chose. Même les amis homosexuels m'avaient paru faire dans la caricature et correspondre à une certaine forme de norme. Même les amis proches se taisaient face à leurs blessures secrètes, personne ne disait rien d'honnête, et moi non plus je n'ai rien dit.  Contrairement à ce que je peux souvent lire, notre jeunesse n'a pas été une période légère, insouciante : nous étions dans l'angoisse constante du présent, de l'avenir, du rôle que nous devions jouer, des erreurs "irréparables" que nous devions éviter de commettre. Dans les semestres incertains de la vie étudiante (y compris le stress des examens ou de trouver un énième stage), je n'ai pas trouvé beaucoup de place pour l'épanouissement personnel. 
 
La première libération (tardive) a été l'entrée dans la vie professionnelle, qui a signifié indépendance financière et perspectives à plus long terme. Également libérateur, le départ de Paris, car j'ai senti que cette ville trop codifiée ne me conviendrait pas (erreur de jugement?).
 
Enfin, avec le temps, quand les fissures sont devenues plus béantes, et que certains masques trop lourds à porter ont pu être enlevés, certaines relations plus authentiques ont pu être nouées... L'époque y est aussi pour beaucoup, qui multiplie les remises en cause et incite à relativiser nos certitudes. Les codes sont déconstruits de l'extérieur, par la société elle-même, mais de l'intérieur aussi, car toute personne intelligente voit bien qu'ils ne sont précisément que des codes, des cadres douteux inadaptés aux préférences individuelles. Cet évanouissement de la norme est source d'une immense confusion, mais aussi le moyen d'un affranchissement personnel, pour autant que nous puissions/voulions jamais être tout à fait libres. 

mercredi 18 août 2021

La lampe merveilleuse

Je lis pour la première fois l'histoire d'Aladdin dans la traduction de Galland. J'avais commencé l'intégrale des Mille et une nuits (dans cette traduction), mais le livre trop lourd m'était tombé des mains. "C'est ennuyeux", se souvient Della Rovere.
Sans doute faut-il le lire par petits morceaux, ou ne pas en avoir les attentes préconçues par la littérature moderne d'une intrigue logique, ou d'une "morale" compréhensible. Dans l'Histoire d'Aladdin, il n'est nulle part expliqué pourquoi le magicien choisit Aladdin pour aller chercher la lampe, et lui-même ne s'encombre d'aucun questionnement inutile. Quand l'histoire semble terminée surgit un frère cadet du magicien qui prolonge l'intrigue d'un tiers sans apporter grand chose. De tels "développements" seraient immanquablement coupés dans notre littérature efficace et rationnelle (peu d'auteurs ont rompu avec cette économie de moyens, sauf Proust peut-être, ou Nerval). Mais d'autres intrigues potentielles sont survolées qui auraient contribué à de fascinantes histoires: par exemple, Aladdin dispose aussi d'une bague magique (dont il se sert à peine!), et le conte révèle la présence de deux génies, celui de la lampe merveilleuse, et celui de la bague. A un moment, le génie de la bague explique qu'il ne peut s'opposer aux réalisations du génie de la lampe. Quelle aventure aurait-on pu construire sur  la coexistence des deux génies ! Mais aussi, quelle inépuisable réserve de rêves !
Enfin, il est vrai que la traduction de Galland est ampoulée et sans doute illisible pour la plupart des lecteurs, mais cette langue précieuse, ces formules grand-siècle, ajoutent aussi leur propre exotisme au texte, comme en écho l'enchantement des nuits de Versailles. Comment faudrait-il traduire autrement? Et qui sait si, pour un lecteur égyptien d'aujourd'hui, le texte d'origine n'a pas lui aussi certaines constructions lourdes et mystérieuses, un langage derrière lequel flamboient les lumières de l'orient médiéval, la cour des califes de Bagdad...
"On ne saurait exprimer la surprise et l'étonnement du sultan lorsqu'il vit rassemblées dans ce vase tant de pierreries si considérables, si précieuses, si parfaites, et d'une grosseur dont il n'avait point encore vu de pareilles. Il resta quelque temps dans une si grande admiration qu'il en était immobile. Après être enfin revenu à lui, il reçut le présent des mains de la mère d'Aladdin, en s'écriant avec un transport de joie: "Ah! que cela est beau! que cela est riche!" "
Comment faudrait-il traduire autrement? 

mardi 17 août 2021

La chute de Kaboul

Images de la piteuse débâcle de Kaboul, grand gâchis de dizaines d'années, de milliards de dollars et de milliers de vies.
Sommes-nous dans la même situation qu'il y a vingt ans ? Question difficile. L'occident à changé, sa position dans le monde aussi.
Quels sont désormais les intérêts de l'occident en Afghanistan ? Notamment pour l'Union européenne et la France, à part le flux probable de réfugiés qui traverseront l'Asie (car même un conflit aussi lointain peut entraîner ces mouvements de population que l'Europe veut éviter à tout prix... problème que les États-Unis ignorent). 
Mais en qui concerne le terrorisme (motif de l'intervention initiale), que représente l'Afghanistan quand le monde regorge désormais de "sanctuaires du terrorisme", ou de républiques respectables devenues des États voyous ?
Un problème de moins, peut-être? 

+ ref au livre sur les empires