À tous les niveaux, à tous les âges, la norme brise. Hommes comme femmes en sont les victimes. Réussir à s'affranchir sereinement de la norme est la "clé du bonheur", peut-être, mais c'est un chemin difficile, par rapport à la soumission ou à l'opposition bruyante, qui sont les deux alternatives habituelles et insatisfaisantes.
Pendant des années, je n'ai rencontré des individus qui semblaient tous faits du même moule, et qui semblaient tous incarner quelque chose. Même les amis homosexuels m'avaient paru faire dans la caricature et correspondre à une certaine forme de norme. Même les amis proches se taisaient face à leurs blessures secrètes, personne ne disait rien d'honnête, et moi non plus je n'ai rien dit. Contrairement à ce que je peux souvent lire, notre jeunesse n'a pas été une période légère, insouciante : nous étions dans l'angoisse constante du présent, de l'avenir, du rôle que nous devions jouer, des erreurs "irréparables" que nous devions éviter de commettre. Dans les semestres incertains de la vie étudiante (y compris le stress des examens ou de trouver un énième stage), je n'ai pas trouvé beaucoup de place pour l'épanouissement personnel.
La première libération (tardive) a été l'entrée dans la vie professionnelle, qui a signifié indépendance financière et perspectives à plus long terme. Également libérateur, le départ de Paris, car j'ai senti que cette ville trop codifiée ne me conviendrait pas (erreur de jugement?).
Enfin, avec le temps, quand les fissures sont devenues plus béantes, et que certains masques trop lourds à porter ont pu être enlevés, certaines relations plus authentiques ont pu être nouées... L'époque y est aussi pour beaucoup, qui multiplie les remises en cause et incite à relativiser nos certitudes. Les codes sont déconstruits de l'extérieur, par la société elle-même, mais de l'intérieur aussi, car toute personne intelligente voit bien qu'ils ne sont précisément que des codes, des cadres douteux inadaptés aux préférences individuelles. Cet évanouissement de la norme est source d'une immense confusion, mais aussi le moyen d'un affranchissement personnel, pour autant que nous puissions/voulions jamais être tout à fait libres.