Sans doute faut-il le lire par petits morceaux, ou ne pas en avoir les attentes préconçues par la littérature moderne d'une intrigue logique, ou d'une "morale" compréhensible. Dans l'Histoire d'Aladdin, il n'est nulle part expliqué pourquoi le magicien choisit Aladdin pour aller chercher la lampe, et lui-même ne s'encombre d'aucun questionnement inutile. Quand l'histoire semble terminée surgit un frère cadet du magicien qui prolonge l'intrigue d'un tiers sans apporter grand chose. De tels "développements" seraient immanquablement coupés dans notre littérature efficace et rationnelle (peu d'auteurs ont rompu avec cette économie de moyens, sauf Proust peut-être, ou Nerval). Mais d'autres intrigues potentielles sont survolées qui auraient contribué à de fascinantes histoires: par exemple, Aladdin dispose aussi d'une bague magique (dont il se sert à peine!), et le conte révèle la présence de deux génies, celui de la lampe merveilleuse, et celui de la bague. A un moment, le génie de la bague explique qu'il ne peut s'opposer aux réalisations du génie de la lampe. Quelle aventure aurait-on pu construire sur la coexistence des deux génies ! Mais aussi, quelle inépuisable réserve de rêves !
Enfin, il est vrai que la traduction de Galland est ampoulée et sans doute illisible pour la plupart des lecteurs, mais cette langue précieuse, ces formules grand-siècle, ajoutent aussi leur propre exotisme au texte, comme en écho l'enchantement des nuits de Versailles. Comment faudrait-il traduire autrement? Et qui sait si, pour un lecteur égyptien d'aujourd'hui, le texte d'origine n'a pas lui aussi certaines constructions lourdes et mystérieuses, un langage derrière lequel flamboient les lumières de l'orient médiéval, la cour des califes de Bagdad...
"On ne saurait exprimer la surprise et l'étonnement du sultan lorsqu'il vit rassemblées dans ce vase tant de pierreries si considérables, si précieuses, si parfaites, et d'une grosseur dont il n'avait point encore vu de pareilles. Il resta quelque temps dans une si grande admiration qu'il en était immobile. Après être enfin revenu à lui, il reçut le présent des mains de la mère d'Aladdin, en s'écriant avec un transport de joie: "Ah! que cela est beau! que cela est riche!" "
Comment faudrait-il traduire autrement?