lundi 11 septembre 2023

L'âge est différent (2)

Une autre remarque sur ma jeunesse.

Dans notre éducation, dans leur comportement, je ne peux que constater à quel point les parents ont été lacunaires, contradictoires. Ils se sont comportés comme des cuisiniers paresseux: ils ont collectés les différents ingrédients, puis ont tout mis dans la marmite en espérant que quelque chose se passerait par magie. Mais rien de ce qui devait se passer n'est advenu. Et le voulaient-ils seulement ? 

Par exemple, ils insistaient sur les valeurs "bourgeoises" et appliquaient tous les moyens pour nous éviter des distractions "populaires", pour nous apprendre les bonnes manières, etc. Mais ils étaient les premiers à critiquer la bourgeoisie du nord, à les mépriser profondément. Dans quelle direction aurions nous dû évoluer ? 

De la même façon, la question de la religion était à la fois omniprésente (messe régulière, prière) et très superficielle. Jamais nous n'avons eu la moindre discussion sur la foi, sur leur foi, sur dieu. Je n'ai jamais compris ce que croyaient vraiment mes parents. Tout cela était esquivé, ou délégué à d'autres. La religion n'avait aucun sens, pour nous. Ils ne portaient pas le clergé particulièrement en haute estime. Et même si je leur suis reconnaissant de nous avoir exposés à la religion chrétienne de façon finalement assez libre, je ne comprends pas l' objectif de tous ces efforts. Je ne m'explique leur attitude qu'en les pensant "athées à regret" comme si, en plantant la graine, l'arbre allait prendre terre alors qu'il n'avait pas poussé chez eux. Mais est la toute la vérité ? Encore une énigme...

Toutes ces contradictions ne semblent pas bien graves au regard de tous les drames de l'enfance dont nous avons été protégé. Le problème, c'est qu'elles ont dégénéré en incompréhension, en incompatibilité, en liens distendus et formels, artificiels. 

dimanche 10 septembre 2023

L'âge est différent

Autre impression de la "paternité": certaines sensations me rappellent mon enfance et mes souvenirs, mais dans l'ensemble mon expérience de la parentalité me semblent très différente de ce que j'ai vécu avec mes parents. L'époque était différente, ils étaient également plus jeunes, il y avait peut-être moins de "conseils" de toutes sortes (ce n'était pas forcément un mal...). L'impression générale (peut-être fausse) est que la parentalité n'a pas été pour eux un bouleversement fondamental, qu'ils ont continué à faire ce qui leur plaisait. Pour le reste, ils ont appliqué des préceptes issus de leur milieu social en vérifiant juste qu'on "marche droit". Et j'ai marché droit, bien qu'à reculons. 
 
Je ne dis pas que la tâche a été facile ni exempte de sacrifice. En fait, ils se sont peut-être rendu la tâche plus dure en refusant la bienveillance, et ils paient cher aujourd'hui de n'avoir pu maintenir la relation d'amour et de gratitude. Moi aussi, je l'ai payé cher, mais pas besoin d'insister. 
 
L'âge est différent. À tous égard, la présence de Dino, et peut-être d'un autre (?), tient du miracle. Alors que la parentalité faisait partie de l'ordre des choses. 
 
L'époque est différente. La multiplicité des "recettes" nous laisse dans l'indécision, dans l'impossibilité de croire en certaines normes. La résurgence des dangers crée des doutes sur l'avenir, alors que la priorité de nos parents était surtout notre réussite sociale (et la leur), ce qui conditionnait toute notre "éducation". 
 
Tout cela paraît douteux et vain, en 2023... Mais, à leur avantage peut-être, ils vivaient moins que nous dans l'instant, ils se projetaient dans le temps long de normes qui avaient vocation à se reproduire. Le divorce, la pauvreté, la souffrance du monde, et même la mort, semblaient des perspectives inimaginables. 


vendredi 8 septembre 2023

Une chance

Bref passage à Lille. Je regardais les terrasses animées, le mouvement de la ville industrieuse et néanmoins joyeuse, le spectacle de la jeunesse. Soudain il m'est apparu que j'avais eu de la chance d'y vivre mon adolescence, que cette ville m'avait donné ce dont j'avais besoin, un lieu de sorties, de découvertes, de possible épanouissement - et que je ne vois pas d'autre endroit qui m'aurait mieux convenu, à l'époque.

Pourtant, j'ai fui dès que je l'ai pu. Mais ce n'était pas à cause de la ville. 

Comme je continuais à marcher dans le labyrinthe des rues étroites, j'ai même pensé que, si je devais un jour "refaire" ma vie, ce serait à Lille que je devrais m'installer, que je pourrais y être heureux, dans une de ces petites maisons de brique, ou ces appartements lumineux. Je n'aurais aucun problème pour me faire de nouveaux amis, je saurais où sortir, où voyager, que faire. Brève vision d'une possibilité. Un jour peut-être jamais. 

mercredi 30 août 2023

L'âge du retrait

J'ai vécu tout cet été comme tétanisé par l'incertitude de ce qui sera, ou ne sera pas, incapable d'agir ni même de profiter de l'inaction. Cette necéssité d'attendre (en matière d'orientation professionnelle, de vie personnelle, même sur des détails très concrets) m'a donné une impression étrange d'absence, comme si je n'étais plus acteur de ma propre vie mais spectateur passif d'un téléfilm un peu longuet. On m'a posé des questions parfois, mais je les ai toutes esquivées, et j'aurais été bien incapable de répondre.

Qui je suis, et même le monde dans lequel je vis, semblent des notions très nuageuses, évanescentes. Et plus j'avance en âge, plus s'écroulent mes certitudes, mes désirs, ce que je croyais faire ma "personnalité".

Sur "les hommes"

Je n'ai ni le temps ni le goût pour la lecture ces temps-ci, mais il y a un sujet sur lequel je cherchais à me documenter, le mystère de la sexualité telle que perçue par les hommes contemporains. C'est un sujet sur lequel "les hommes" (ou en tout cas mon cercle d'amis) ne parlent jamais, ou alors par allusions si discrètes qu'on ne comprend pas vraiment ce qui est voulu dire (et qui, si jamais on les creuse, signifient généralement la fin de l'amitié). Je n'ai jamais compris quelle était la profondeur de leurs désirs, ni même leurs pratiques. Les seuls qui en parlent parlent trop; leurs paroles sont peu fiables.

Il ne m'a jamais été possible, par conséquent, de savoir si ce que je vivais relevait de la "différence" ou au contraire était une expérience tout à fait commune. La littérature ancienne aborde parfois ce domaine mais sous une forme romanesque et plutôt pudique, qui ne va pas au fond des choses (et qui, anachronique, ne peut pas réellement traiter des relations hommes-femmes du XXIe siècle). Il y a peut-être des choses dans la littérature contemporaine, mais je ne l'ai pas encore vu. Les livres que j'ai achetés sont soit vantards, soit "éducatifs"/"revendicatifs", soit sur des cas psychiatriques très particuliers, mais jamais sur le ressenti réel de situations habituelles.

J'ai vu un jour en librairie une sorte de journal qui semblait suffisamment honnête, mais je ne l'ai pas achété sur le moment et n'ai jamais pu en retrouver l'auteur. Belle occasion manquée hélas.

jeudi 13 avril 2023

Le témoin aveugle

Feuilleté rapidement quelques pages du Journal d'Ernst Junger écrites lors de son affectation en France en 1942. Lecture instructive mais répugnante aussi. Les descriptions de sa vie parisienne, les pièces de Guitry, les rencontres avec Cocteau... Comment n'a-t-il pu ne pas voir ? Ou s'il a vu, ne pas dire ? Et si encore il se bornait à quelques impressions personnelles, on pourrait tolérer l'aveuglement et l'autocensure... mais non, le Journal abonde en apitoiement pour les soldats allemands blessés ou morts dans le froid. Que venaient-ils chercher en Russie, qui servaient-ils ?.. 

De la même façon, les générations futures nous reprocheront sans doute de ne pas avoir consacré toutes nos pensées au drame de l'Ukraine, au réchauffement climatique, au sort du monde. Serons-nous tous vus comme des Ernst Junger, acteurs de ces tragédies (à notre niveau), coupables même parfois, paradant pourtant dans une fête permanente, incapables d'empathie ? 

mercredi 5 avril 2023

Avant la nuit

J'essaie de m'assurer que Dino dispose d'un cadre aimable, dans lequel il puisse s'émerveiller de la vie et monde... Mais parfois je suis saisi par l'angoisse du moment où la violence du monde nous rattrapera, s'imposera à lui.
Pour moi, cette violence est venue tard: j'étais déjà de l'autre côté de l'enfance. Au fond de moi palpitait une confiance encore brûlante, venue de ces temps lointains, que personne n'a pu détruire. En conséquence (si je me souviens bien), le désir permanent du suicide et la "difficulté d'être" ont toujours été contrebalancés par une réminiscence de la félicité, et par la croyance que les choses s'arrangeraient d'elles-mêmes. 

mercredi 8 mars 2023

Interpréter le silence

Les silences dûs à la fête, à l'esprit qui voyage et n'a pas le temps de témoigner... 

Ou le silence des doutes indicibles.

À partir de janvier, des complexités logistiques et professionnelles m'ont fait perdre pied dans l'organisation de ma vie... Le noeud du problème est sans doute la pression que je me mets pour prétendre à Della Rovere que tout est facile, pour lui éviter de s'angoisser ou de s'énerver continûment. Mais cela requiert du temps, de l'énergie que je n'ai pas. La psychologue dit que l'on ne peut être parfait partout. Je coupe tout engagement autre que familial (et strict nécessaire professionnel). J'en viens à supplier Dino d'être gentil... Tout cela dans l'idée de mettre Della Rovere dans des conditions favorables pour un deuxième enfant. Au détriment de toute autre considération. C'est comme s'il n'existait plus que cela, et l'envie de bien faire pour Dino, de ne pas perdre une seule minute de son enfance. L'angoisse d'en être séparé me serre le cœur, mais mon comportement n'est certainement pas le bon. Je crée des situations de négociations perpétuelles. Le désir en pâtit, alors qu'il faudrait au contraire profiter des bienfaits de la vie, glorifier ce qu'elle m'a apporté en comblant mes demandes les plus improbables !