samedi 3 mars 2012

Vendanges tardives

La musique qui me revenait en tête ce matin... je l'ai reconnue! C'était la musique de la carriole Aygaz, qui arpentait les ruelles escarpées de Galata pour vendre quelque bonbonnes aux ménagères des étages, me réveillant, et rythmant les journées aussi régulièrement que l'appel du muezzin fatigué, en contrebas de notre immeuble. Cet appel que j'ai si souvent entendu, étudié... Le chant du vieil homme ne débutait que tardivement - sans doute lui fallait-il un temps pour, après avoir entendu la première mosquée voisine, se lever et marcher jusqu'au poste, allumer l'appareil (heureusement pour lui que nous n'étions plus à l'époque des escaliers en colimaçons qu'il fallait monter à la hâte)? Les voix de la ville dévalaient depuis longtemps les collines, si bien qu'au lieu d'un mouvement jaillissant et spontané, l'appel à la prière me faisait l'effet de se faufiler progressivement, quartier par quartier à travers Istanbul, jusqu'à moi. Puis, comme notre minaret était aussi le dernier à émettre, tout s'interrompait brusquement dans un dernier crachotement du micro, laissant place à un silence ébahi, que reconquéraient les voix de la ville, les klaxons, la radio du voisin, et les sirènes des bateaux qui croisaient sur le Bosphore.
Et je repense à cette musique publicitaire d'Aygaz (il faudra retrouver d'où elle vient) avec une nostalgie bienveillante - non pas les habituels regrets dont est constitué ce blog, mais la joie sereine d'avoir fait, d'avoir bien fait, d'avoir vécu des instants qui méritaient d'exister.
Nous aussi, nous méritions d'exister.