lundi 4 octobre 2010

La carte et le territoire

Après une étude approfondie de l'homme et de sa destinée, voici que Michel Houellebecq (à l'instar de son héros) raccroche son pinceau, imaginant même sa propre mort, en livrant toutefois un ultime tableau, sous la forme d'un portrait/autoportrait de l'artiste. En dehors de la facture habituelle de Houellebecq, son écriture parfaite et froide, son humour, son regard cruel sur le monde ("un regard latin", et il y aurait beaucoup à dire sur cette formidable remarque qu'il formule, à la dérobée), auxquels lui-même ne croit plus vraiment, le grand intérêt de ce livre réside dans ce dédoublement du "Houellebecq", l'auteur du livre et l'écrivain public, dans une caricature monstrueuse de son image médiatique, à la description de laquelle il a dû prendre un plaisir extrême.
C'est sans conteste un écrivain talentueux, le meilleur de sa génération si l'on ne compte que la poignée d'auteurs qui ont acquis une quelconque notoriété ces dernières années (et que j'ai pu lire, n'ayant guère le courage désormais de lire des romans). Mais un génie paresseux, qui n'a pas perdu son temps en recherches intensives sur un sujet, mais qui, au contraire, a collecté quelques informations ici ou là, sur des sites internet (wikipedia, ryanair, etc.) dans des notices d'appareils électriques ou des plaquettes publicitaires, et à qui cela a suffi pour élaborer une représentation du monde... Chez quiconque, cela aurait tourné à l'anecdote amusante, à la miscellanée. Pour Houellebecq, ces exemples, ces copiés-collés qui vont jusqu'à la retranscription d'absurdités, n'ont pas pour fonction de faire sourire le lecteur, mais simplement d'accrocher son livre au réel. Il serait bien incapable, d'ailleurs, de décrire la réalité du monde, lui qui passe ses journées enfermé dans un lotissement irlandais (ainsi qu'il se plait à se décrire). Que le monde de Houellebecq soit vrai ou faux n'a de toute façon aucune importance, car le territoire réel, ni même l'image satellite fidèle, n'ont aucune valeur à ses yeux. Seule compte la carte, c'est à dire, la représentation humaine de ce territoire. Vieille dialectique entre l'art et la nature, pied de nez à la tradition réaliste, minutieuse, de tous ces écrivains laborieux et sans souffle.
Houellebecq décrit très bien ce cheminement dans l'œuvre du héros, qui commence par la photographie pour passer à la peinture ("vous prendrez mille photos de moi, et seul restera le portrait que vous allez peindre"), qui plus est de la photographie encyclopédique d'un ensemble de quincaillerie, à la révélation de "la carte et du territoire", pour finir par des représentations, savamment choisies, de moments clés de notre époque tels que l'artiste les envisage ("la rencontre de Palo Alto"). Une fois ce travail accompli, il n'y a effectivement plus qu'à mourir.