Un de ces voyages dont on ne voudrait pas qu'ils se prolongent indéfiniment, et où, même par une semaine de pluie continue, on n'est pas mécontent d'être de retour chez soi. Il serait facile de n'observer ce pays qu'avec des œillères, en faisant abstraction par exemple des barrages militaires sur les routes, des hommes en armes (policiers? militaires? autres?) à chaque coin de rue et probablement totalement inutiles, ou de l'impossibilité générale de vivre normalement, révélée au détour d'une remarque, d'un regard. Et effectivement pour le visiteur occasionnel c'est une destination plaisante, la synthèse de l'Orient et de la Méditerranée, de beaux sites et des individus accueillants, un véritable Éden, où tout pousse, tout croît au bord de riantes rivières, dans une chaleur bienveillante. Voilà une patrie qui est belle à première vue, ou à distance!
On me demandera, n'en est-il pas ainsi de chaque patrie? Après tout, chaque Français qui y réside se plaint de son pays, et ce n'est qu'une fois la frontière franchie, au bout de quelques mois, quelques années, que la nostalgie de la beauté de la France, de la vision ordonnée de Paris déroulée comme un rêve d'or le long du fleuve, où d'un petit village sous une pluie fine d'automne, dans une maison où crépite un feu réparateur, s'empare de lui, et qu'il lui faut revenir, sans délai.
Et quel peuple n'a pas la nostalgie de sa grandeur et de sa prospérité passées, indifféremment de son présent! Certes, mais demeure, même faiblement, l'espoir d'un retour... ou, au moins, d'une possibilité de perfectionnement. Tout cela n'existe plus au Liban, tout est emporté par le pessimisme (justifié!) et le désespoir. Et qui pourrait se complaire d'être enfermé dans un tel paradis, invivable? Le Libanais qui me soutiendrait le contraire est un menteur. Non que ce soit uniquement de sa faute. Ce pays est une honte pour tout le genre humain.