Ai lu, comme tout le monde, le Capital au XXIe siècle de Thomas Piketty* (j'ai trouvé le temps*... parfaite illustration de l'adage personnel "plus on en fait, plus on en fait"). Le titre est assez trompeur, car finalement ce livre est davantage sur le capital aux XIXe et XXe siècle que sur les années à venir, si l'on excepte les quelques maigres chapitres de la dernière partie.
Mais si l'on prend le livre pour ce qu'il est, c'est-à-dire une étude bien documentée du passé et du présent, il s'agit d'une lecture captivante et instructive, éclairante à bien des égards sur nos situations personnelles (comme il est fascinant de constater que les trajectoires que nous croyons originales se retrouvent généralement très bien dans les statistiques): par exemple, le chapitre sur l'héritage et les mentalités mouvantes sur ces questions, que je retrouve exactement dans la différence d'attitude des Della Rovere et des miens... Piketty excelle également à dégonfler un nombre de mythes douteux (la croyance que la bulle immobilière est liée aux capitaux étrangers, entre autres).
Merveilleuses exégèses de Jane Austen et surtout de Balzac, qui montre que cet auteur est sans doute
le plus grand de son époque (qui n'en manquait pas!). En passant, remarque intéressante sur le fait que, durant tout le XIXe siècle, les écrivains évoquaient sans pudeur les questions d'argent ("huit mille livres de rente", etc.), tandis que les chiffres et la monnaie ont quasiment disparu de notre littérature: Piketty attribue ce fait non pas à la bienséance, mais à l'inflation: une référence à un prix paraîtrait vite très ringarde, et serait incompréhensible pour les lecteurs dix ans plus tard. C'est aussi, sans doute, que nos écrivains n'ont pas fait beaucoup de mathématiques ou de finances et préfèrent ne pas s'y salir les mains.
Quant aux aspects prospectifs... on ne peut s'empêcher de penser en refermant le livre, tant son auteur est convaincant, qu'il serait préférable que le monde devienne plus "pikettien", dans la répartition des richesses, une façon plus juste de vivre ensemble, etc. Mais l'univers pikettien me semble par trop utopique - ou suis-je moi aussi désormais trop cynique, hélas?
Ainsi, le livre ne fait qu'effleurer la question du chômage qui est pourtant le principal problème des sociétés occidentales (du moins dans le discours politique; dans la pratique politique, c'est moins sûr). Est-ce à dire qu'il considère que le chômage est un faux problème, que nous pouvons assurer notre prospérité malgré le nombre important de chômeurs? Piketty semble s'en remettre à la vieille recette usuelle qui consiste à dire que le chômage sera résorbé par une augmentation des dépenses d'éducation (ce qui me semble extrêmement douteux, car tous les métiers ne requièrent pas un niveau d'études considérable). On me dira que, au moins sur cet aspect, le titre n'est pas mensonger puisque l'auteur veut décrire le "capital" et non le travail - mais peut-on décemment scinder les deux notions "au XXIe siècle"?