jeudi 23 octobre 2014

Le rêve géopolitique

Je lis par intermittence La revanche de la géographie de Robert D. Kaplan*. On sait que j'ai toujours été méfiant vis à vis du déterminisme géopolitique et de ses théories trop fumeuses. Ce doute n'est pas absent chez Kaplan... 
Et plutôt qu'une revanche de la géographie, je pencherais plutôt pour une revanche de la démographie: on ne peut pas expliquer le monde de demain ou d’aujourd’hui sans cet aspect, le conservatisme de l'Allemagne, l’écroulement de la Russie, l'émergence de l’Afrique, les convulsions du monde musulman... Ce sont des aspects profondément humains qui n'ont plus grand chose à voir avec la géographie, surtout de nos jours (plutôt avec la culture et la politique familiale).
Mais ce genre de livre est toujours pour moi une lecture captivante, qui ouvre grand la porte du "rêve géopolitique", la lutte des grands ensembles, les destinées des masses... Par exemple, on pourrait imaginer que, une fois le pétrole ayant perdu de sa valeur, le Moyen-orient se ressaisira, abattra les régimes complices de son déclin, se regroupera en une vaste "fédération" pacifique et prospère (une sorte d'Union européenne), rendant enfin la Méditerranée et le Levant fréquentables.
On y reviendra.

jeudi 16 octobre 2014

Deux phrases de Nicolas Bouvier

Enfin, lire autre chose que des phrases logiques sujet-verbe-complément, déchiffrer des phrases dont l'ordre semble retravaillé comme les détails d'une enluminure, comme une caligraphie éblouissante.

"Ici, le vent même n'entre pas. Les feuilles mortes de plusieurs années tapissent les toits, les terrasses, les escaliers acrobatiques, et craquent sous le pied."
(on dirait aujourd'hui "même le vent n'entre pas", mais ici le vent restera bloqué en début de phrase; tandis que "et craquent sous le pied" rejeté à la fin, une fois qu'on a bien observé les feuilles et que l'on a commencé à se hasarder sur l'escalier acrobatique... c'est du bel ouvrage).

"Aujourd'hui que le Balouchistan est tranquille, ces chagrins ont disparu avec le général, et Bam, c'est surtout une mosaïque de jardins entourés de fortes enceintes qui servent de propriétés de plaisance aux arbabs du Kerman."
(la phrase n'est pas claire: "de fortes enceintes qui servent de propriétés"? ce sont les jardins qui sont la priorité; mais il fallait grouper les "jardins entourés de fortes enceintes", l'image du jardin clos, du paradis persan - on s'amuse à relire la phrase pour comprendre, et soudain l'on est transporté...)

*

J'ignore si ce genre de subtilités raffinées est enseigné dans les "ateliers d'écriture" ou dans la prochaine télé-réalité littéraire (comme si un roman pouvait s'écrire à vingt mains!). Une intrigue bien construite, des personnages auxquels on s'attache, c'est essentiel -  mais ce sont des kleinigkeiten telles que ces deux phrases qui suscitent la joie de lire, pépites dans le lit d'une rivière trop promptement traversée, et où l'on reviendra prospecter, un jour.

mardi 7 octobre 2014

Même ce peu

Geste de tendresse aussi furtif qu'inattendu, et je me suis endormi sereinement, comme en une nuit d'été profonde, sous un firmament glorieux... J'ignore en quoi je mérite ces attentions, je fais comme je peux avec mes maigres moyens. Je ne sais pas si mes agendas sont légitimes, ni mes espoirs atteignables. Je sais ce que je dois à Della Rovere en bonheur et en stabilité. Je sais le peu que je conserve dans notre nouvelle vie nomade et décousue mais, dans toute autre vie, même ce peu serait perdu.

vendredi 3 octobre 2014

Racine dans les ténèbres

Comment ne pas songer au poème de Neruda chez ce coiffeur singulièrement désagréable (je néanmoins peux imaginer ce que son métier doit parfois avoir de rébarbatif, et ce que peut avoir de décourageant la coupe de mes cheveux informes et en voie de disparition !)? A chaque fois que je m'observe sous ces lumières trop vives, dans ces miroirs indirects, je suis "fatigué d'être un homme", fatigué d'être.

"L'odeur des coiffeurs me fait pleurer à cris.
Je ne veux qu'un repos de pierres ou de laine,
je veux seulement ne pas voir d'établissement ni de jardins,
ni de marchandises, ni de lunettes, ni d'ascenseurs.

Il arrive que je me lasse de mes pieds et de mes ongles,
de mes cheveux et de mon ombre.
Il arrive que je me lasse d'être homme."