Enfin, lire autre chose que des phrases logiques sujet-verbe-complément, déchiffrer des phrases dont l'ordre semble retravaillé comme les détails d'une enluminure, comme une caligraphie éblouissante.
"Ici, le vent même n'entre pas. Les feuilles mortes de plusieurs années tapissent les toits, les terrasses, les escaliers acrobatiques, et craquent sous le pied."
(on dirait aujourd'hui "même le vent n'entre pas", mais ici le vent restera bloqué en début de phrase; tandis que "et craquent sous le pied" rejeté à la fin, une fois qu'on a bien observé les feuilles et que l'on a commencé à se hasarder sur l'escalier acrobatique... c'est du bel ouvrage).
"Aujourd'hui que le Balouchistan est tranquille, ces chagrins ont disparu avec le général, et Bam, c'est surtout une mosaïque de jardins entourés de fortes enceintes qui servent de propriétés de plaisance aux arbabs du Kerman."
(la phrase n'est pas claire: "de fortes enceintes qui servent de propriétés"? ce sont les jardins qui sont la priorité; mais il fallait grouper les "jardins entourés de fortes enceintes", l'image du jardin clos, du paradis persan - on s'amuse à relire la phrase pour comprendre, et soudain l'on est transporté...)
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J'ignore si ce genre de subtilités raffinées est enseigné dans les "ateliers d'écriture" ou dans la prochaine télé-réalité littéraire (comme si un roman pouvait s'écrire à vingt mains!). Une intrigue bien construite, des personnages auxquels on s'attache, c'est essentiel - mais ce sont des kleinigkeiten telles que ces deux phrases qui suscitent la joie de lire, pépites dans le lit d'une rivière trop promptement traversée, et où l'on reviendra prospecter, un jour.