Soulagé et reconnaissant, mais plus encore intrigué par ce destin qui - par une succession de hasards amenant quelques minutes de retard - sauve une existence absurde et sans but apparent, pour détruire les vies valables d'êtres aimés. On voudrait croire qu'il y a quelque chose, un message, une finalité. Sinon, ce serait plus qu'incompréhensible, révoltant. Mais nous restons en vie, enfermés dans nos questions sans réponse, dans notre révolte sage et résignée.
Kurz und Schnell zu lesen - Prologue - Le Monde - La Cité - L'Homme - Les Mots - Les Rêves - Epilogue
samedi 19 mars 2016
Saarbrücken
Le passage du train dans la ville, sommeillant dans une brume hivernale, dorée, m'a rappelé une sensation puissante éprouvée il y a quelques temps déjà, dans un jardin bien ordonné, tandis que je me précipitais parmi les roses, puis reculais interdit... En ai-je parlé dans ces brèves? Je ne crois pas. C'était comme dans un rêve l'impossibilité de marcher.
Une sensation réciproque? J'imagine que comme d'habitude mes émotions ne s'étaient basées sur presque rien (de même le monde est né du néant originel, pourrait-on rétorquer). Je vais quand même suivre d'un œil cette affaire non élucidée. L'avenir me dira comment je dois juger le passé.
vendredi 18 mars 2016
Message d'absence
Après une année de silence... si j'excepte les vaines tentatives de "rattrapage"... qu'ai-je retenu? en quoi ai-je grandi? J'ai plus que jamais la conscience du temps qui passe, du temps qui fuit, qui m'échappe. Dix ans dans cette ville, bientôt trente-cinq ans dans cette vie. Une moitié d'existence si les cancers, les suicides et les attentats me laissent atteindre l'autre côté. Il n'y a pas de quoi pavoiser. J'ai même honte de tout ce temps perdu, de tout ce que je n'ai pas accompli. J'avais de si grandioses projets à court-terme! Même les projets modestes sont restés en plan. Et si au moins je pouvais me dire que j'ai été heureux durant ces années, l'effondrement de mes ambitions serait un dégât mineur - mais l'ai-je été? Je n'ai jamais su profiter de ce que l'on me donnait, sauf en de rares instants. J'étais ailleurs, absent à mon existence.
Sentiment de gâchis aussi créé par la "mobilité professionnelle", qui fait que les expériences pèsent très peu, que je me suis retrouvé comme un stagiaire, comme le "jeune professionnel", là où j'aspirais à la responsabilité, à la maîtrise de moi et des autres. Ce sentiment ne va sans doute jamais s'arrêter avec la vie nomade que j'entrevois (mais j'avais accepté cette vie nomade sur la base du GRMF, d'une vie d'écrivain - quel fou! d'avoir été incapable d'abandonner ses rêves là où tant d'autres ont fait preuve de plus de réalisme, de moins d'orgueil).
Recomptant les années perdues, je me suis rendu compte que seuls restaient les quelques mots des brèves, les quelques témoignages que j'avais laissés, d'impressions déjà disparues, de villes en ruine, de personnes mortes, de corps désirés devenu si lointains, de corps qu'on ne reverra plus jamais comme on les a vus, dans la vigueur de leur jeunesse, et toutes les certitudes plus éphémères encore, les idées politiques, les goûts littéraires, les poèmes qui nous ont émus, et qui ne provoquent plus que rires ou bâillements.
mercredi 16 mars 2016
Une Bible froissée
Dans la chambre d'hôtel africaine, une bible froissée: j'ai relu la fin des évangiles, toujours intéressé par ce "Jésus de la résurrection" que j'ai déjà évoqué précédemment. Il y flotte un tel mystère - le récit est bâclé, extrêmement rapide ("et il apparut encore en deux endroits"), avec des incohérences tellement grosses qu'on se demande pourquoi les premiers chrétiens ne les ont pas discrètement gommés (parfois un ange, parfois deux anges - c'était facile à corriger discrètement...).
C'est comme si les évangélistes (à la suite des disciples?) avaient été gênés par la résurrection, ne savaient pas vraiment quoi faire de ce Jésus soudain revenu parmi eux, alors qu'ils s'étaient déjà éparpillés, renfermés dans la désolation. Est-ce lui? Est-ce un autre qui est réapparu, ou, comme le suggérerait apparemment l'Islam*, est-ce un autre qui a été crucifié? Le récit est tellement maigre, qu'on est aussi perplexe, aussi effrayé que les femmes au tombeau.
*
Autre question: si Jésus était encore là, pourquoi n'a-t-il pas fait une apparition plus éclatante, devant ses anciens bourreaux, devant tout le peuple? Cela aurait simplifié considérablement la tâche de tout le monde, en particulier des apôtres... Mais Jésus n'en a pas voulu, a préféré défier notre foi et notre raison, nous laisser libre de notre opinion, de croire ou non en lui. Ce serait une explication à ces conclusions étranges des évangiles: les disciples, plus que perplexes, sont surtout déçus qu'il apparaisse en coup de vent, que sans les aider il disparaisse de nouveau (comment? ce n'est pas clair non plus).
*
Et ce cri, l'un des rares dans les évangiles à rester dans sa langue originale: "Eli, Eli, lama sabachthani ? c'est-à-dire : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné". Il résonne encore deux mille ans après - la plus féroce colère de l'homme face à dieu. Mais si même Jésus a douté, qui peut croire? Et s'il a douté, était-il seulement le fils de Dieu?
Je n'y crois pas, et pourtant j'aimerais y croire, j'éprouve de la peine de ne pas y croire: c'est le doute de l'incroyant. Mais je vis avec les textes, peut-être qu'un jour un détail me rendra les choses évidentes, lumineuses.
jeudi 10 mars 2016
Rêve du Thalys
Rêve - ou plutôt vision - d'un homme qui conduit sa voiture dos à la route, se fiant à quelques panneaux lus à l'envers et à la fuite de la ligne, environné par les commentaires de passagers effrayés. Une voiture qui ne peut plus freiner, et qui fonce dans des paysages imprévisibles. Trop tard il se rend compte avoir passé un carrefour, avoir négligé une bifurcation... quant aux feux rouges et autres obstacles sur la route, il les a grillés sans même se soucier des autres. Il n'a pas cherché à s'arrêter. S'arrêter n'aurait pas de sens, remettrait en cause le chemin déjà accompli. Dans son autoradio, des mélodies entraînantes. Ceinture bien attachée, il se sent en sécurité; il trouve le paysage magnifique, surtout les régions industrielles ruinées, les mono-cultures, les arbres morts à l'horizon, les files de camions qu'il dépasse, crachant contre le gris-nez des nuages; il se croirait presque rebelle, presque rebelle à tourner ainsi le dos à la vie.
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