Après une année de silence... si j'excepte les vaines tentatives de "rattrapage"... qu'ai-je retenu? en quoi ai-je grandi? J'ai plus que jamais la conscience du temps qui passe, du temps qui fuit, qui m'échappe. Dix ans dans cette ville, bientôt trente-cinq ans dans cette vie. Une moitié d'existence si les cancers, les suicides et les attentats me laissent atteindre l'autre côté. Il n'y a pas de quoi pavoiser. J'ai même honte de tout ce temps perdu, de tout ce que je n'ai pas accompli. J'avais de si grandioses projets à court-terme! Même les projets modestes sont restés en plan. Et si au moins je pouvais me dire que j'ai été heureux durant ces années, l'effondrement de mes ambitions serait un dégât mineur - mais l'ai-je été? Je n'ai jamais su profiter de ce que l'on me donnait, sauf en de rares instants. J'étais ailleurs, absent à mon existence.
Sentiment de gâchis aussi créé par la "mobilité professionnelle", qui fait que les expériences pèsent très peu, que je me suis retrouvé comme un stagiaire, comme le "jeune professionnel", là où j'aspirais à la responsabilité, à la maîtrise de moi et des autres. Ce sentiment ne va sans doute jamais s'arrêter avec la vie nomade que j'entrevois (mais j'avais accepté cette vie nomade sur la base du GRMF, d'une vie d'écrivain - quel fou! d'avoir été incapable d'abandonner ses rêves là où tant d'autres ont fait preuve de plus de réalisme, de moins d'orgueil).
Recomptant les années perdues, je me suis rendu compte que seuls restaient les quelques mots des brèves, les quelques témoignages que j'avais laissés, d'impressions déjà disparues, de villes en ruine, de personnes mortes, de corps désirés devenu si lointains, de corps qu'on ne reverra plus jamais comme on les a vus, dans la vigueur de leur jeunesse, et toutes les certitudes plus éphémères encore, les idées politiques, les goûts littéraires, les poèmes qui nous ont émus, et qui ne provoquent plus que rires ou bâillements.