Très belle matinée, sous un puissant soleil hivernal, consacrée à la lecture d'un court livre sur Alexandrie. Ce livre évoque à la fois des impressions de voyage, et l'histoire de cette ville mythique, la ville décadente figée à jamais dans mon imaginaire par les poèmes de Cavafy.
C'est le récit de deux villes: la première fondée par Alexandre et par les Ptolémées, capitale du monde antique, qui a survécu, pour simplifier, jusqu'à l'époque byzantine. Puis les Arabes se retirent d'Alexandrie et de la mer, et la ville antique se trouve maintenant à plus de dix mètres sous terre. Quand Bonaparte met le siège devant la ville, elle ne compte plus que 8.000 habitants. Soudain, par la volonté de Méhémet-Ali et le réveil de l'Égypte, une nouvelle ville surgit, peuplée en hâte de toutes les races de la méditerranée orientale, des Grecs qui y voient le moyen de restaurer leur patrie perdue, des Juifs, toutes les minorités échappées de l'Égypte et de l'Empire Ottoman, des Occidentaux. "Alexandria apud Aegyptum", en marge de l'Égypte. Et cet nouvel âge d'or de la ville a duré moins d'un siècle, tout semble de nouveau avoir disparu, être à exhumer dans la poussière et le béton de la ville égyptienne.
J'ignore si je voudrais un jour aller à Alexandrie, si la réalité ne briserait pas la ville fantasmée, entre mer et lagune, la ville-monde engloutie... C'était pourtant dans mes projets urgents, et j'y serais sans doute aujourd'hui, n'eût éclaté la "révolution arabe". Qu'en attendais-je? Je sais très bien que je serai déçu, mais cette déception me semble en valoir la peine, une nostalgie douloureuse et pourtant féconde, d'une "belle époque" désormais aussi distante que les conquêtes d'Alexandre, et dont plus rien hormis de frêles poèmes ne célèbre le souvenir, dont les derniers témoins s'éteignent lentement.
Et cependant, même cette nostalgie pourrait n'être que passagère, peut-être un nouvel âge d'or commence-t-il, prochain carrefour au-delà de la place Tahrir (j'en doute, mais je me trompe fréquemment)? Peut-être aussi, "l'esprit d'Alexandrie" a-t-il simplement migré dans d'autres villes cosmopolites, affairées et savantes, à Londres, à Singapour, à New-York? Où résident des poètes inconnus, que la postérité s'efforcera de distinguer?