dimanche 27 mars 2011

Le livre et le moment (1)

Il y a de nombreux livres que l'on devrait avoir lu, dans sa jeunesse, quand (paraît-il) on en avait le temps. De même pour les pays qu'il aurait fallu visiter autrefois, quand l'enthousiasme prévalait sur la pesanteur de la vie (paraît-il - de nouveau, car je me sens bien plus neuf et enthousiaste qu'il y a quinze ans...).
Voilà que j'ai commencé le Quatuor d'Alexandrie, dans l'élan de mes lectures sur cette ville. Le livre figurait pourtant en bonne place dans la bibliothèque paternelle (l'avait-il lu, au fait?), et malgré son titre intriguant je ne l'avais jamais ouvert, comme la plupart des livres de cette bibliothèque...
Chaque page que j'ai lue ces derniers jours m'a transmis le regret de ne pas l'avoir lue plus tôt! (expression hyperbolique, car il y a quelques longueurs) Comme ce livre aurait nourri mon imaginaire, à l'époque, avec sa structure itérative, son humour, ses riches métaphores surgies de nulle part!
Mais précisément, rien ne prouve qu'à "l'époque" le style et surtout l'histoire m'auraient séduit plus d'un instant. Ces manœuvres vaines d'Alexandrins fortunés ou bohème, cette façon ampoulée de n'aller nulle part dans la narration (puisque je savais déjà, ayant malencontreusement lu la postface avant le reste, que tout ce qui est écrit dans le premier livre est erroné!) m'auraient insupporté, moi qui n'avais d'yeux que pour ma détresse que je voulais lire dans les mots des autres, pour leur dérober leurs plus poignantes images.
J'aime ses descriptions de son refuge dans l'île grecque, quand les platanes bruissent sous le meltem, et cette extraordinaire arrivée en vue d'Alexandrie, résumé parfait de son projet romanesque:
"Nous étions encore en pleine mer, et à une telle distance de la côte que nous n’aurions pas dû l’apercevoir avant deux ou trois heures en marchant à toute vapeur lorsque, tout à coup, mon compagnon cria quelque chose et tendit la main vers l’horizon. Nous vîmes, renversé dans le ciel, un mirage grandeur nature de la ville, lumineuse et tremblante, comme peinte sur une soie poudreuse, mais avec une saisissante précision dans les détails. De mémoire, je pouvais nettement en reconstituer tous les sites, le palais Ras El Tin, la mosquée Nebi Daniel, et ainsi de suite. L’ensemble formait une hallucinante composition peinte en touches de rosée. Elle resta suspendue dans le ciel pendant un temps considérable, peut-être vingt-cinq minutes, avant de se dissoudre lentement dans le brouillard qui montait à l’horizon. Une heure plus tard, la vraie ville apparut, tache indistincte qui enfla petit à petit jusqu’aux dimensions de son mirage."
Et tant d'autres choses! On y reviendra.