dimanche 27 mars 2011

Le livre et le moment (2)

Maintenant je me souviens que le Quatuor d'Alexandrie m'avait aussi été recommandé, lorsque j'étais étudiant, par un ami "arteux", le même qui m'avait prêté enthousiaste un "double CD" de sonates pour violon de Bach (comme ces supports technologiques paraissent déjà moyen-âgeux!). Une fois de plus, comme la présence du livre dans les étagères paternelles, cette douteuse recommandation m'avait dissuadé d'ouvrir le Quatuor! Décidément, combien faudra-t-il compter d'obstacles qui nous séparent des choses qu'on aurait dû découvrir, comme les multiples événements qui empêchent deux êtres faits pour s'aimer de jamais se rencontrer?
Et je devrais également, les années ayant passé, réécouter ces sonates. Peut-être les aimerais-je désormais, alors qu'elles m'avaient plongé dans un désarroi austère, l'affreuse solitude à laquelle je me considérais condamné, le vide d'un instrument jouant ses phrases sans le réconfort d'aucun autre son? En réalité, j'avais plutôt aimé cette musique, mais je me revois avoir rapidement rendu le disque à mon ami, au motif que je risquais de trop m'y attacher. Car elle aurait présenté un danger pour moi... la peur d'affronter la vérité, de savoir que je ne pourrai ni voudrai m'y conformer, toute l'essence de mes années de jeunesse, de fuite, résumée dans ce simple geste.
En homme aujourd'hui prétendument mûr, je vais revenir sur ces rejets anciens, et en prendre virilement le risque (limité): qui me dit que, finalement, je n'y trouverai pas que froideur morne et ennui? Désir vite comblé comme les tombes remblayées en hâte à l'issue des batailles, au soir d'une "victoire à la Pyrrhus", qui ne me laissera que le regret de ce qui ne sera pas et le souvenir de ce qui sera, tels qu'en ces temps oubliés, le dédain de l'avenir, la mort.

Le livre et le moment (1)

Il y a de nombreux livres que l'on devrait avoir lu, dans sa jeunesse, quand (paraît-il) on en avait le temps. De même pour les pays qu'il aurait fallu visiter autrefois, quand l'enthousiasme prévalait sur la pesanteur de la vie (paraît-il - de nouveau, car je me sens bien plus neuf et enthousiaste qu'il y a quinze ans...).
Voilà que j'ai commencé le Quatuor d'Alexandrie, dans l'élan de mes lectures sur cette ville. Le livre figurait pourtant en bonne place dans la bibliothèque paternelle (l'avait-il lu, au fait?), et malgré son titre intriguant je ne l'avais jamais ouvert, comme la plupart des livres de cette bibliothèque...
Chaque page que j'ai lue ces derniers jours m'a transmis le regret de ne pas l'avoir lue plus tôt! (expression hyperbolique, car il y a quelques longueurs) Comme ce livre aurait nourri mon imaginaire, à l'époque, avec sa structure itérative, son humour, ses riches métaphores surgies de nulle part!
Mais précisément, rien ne prouve qu'à "l'époque" le style et surtout l'histoire m'auraient séduit plus d'un instant. Ces manœuvres vaines d'Alexandrins fortunés ou bohème, cette façon ampoulée de n'aller nulle part dans la narration (puisque je savais déjà, ayant malencontreusement lu la postface avant le reste, que tout ce qui est écrit dans le premier livre est erroné!) m'auraient insupporté, moi qui n'avais d'yeux que pour ma détresse que je voulais lire dans les mots des autres, pour leur dérober leurs plus poignantes images.
J'aime ses descriptions de son refuge dans l'île grecque, quand les platanes bruissent sous le meltem, et cette extraordinaire arrivée en vue d'Alexandrie, résumé parfait de son projet romanesque:
"Nous étions encore en pleine mer, et à une telle distance de la côte que nous n’aurions pas dû l’apercevoir avant deux ou trois heures en marchant à toute vapeur lorsque, tout à coup, mon compagnon cria quelque chose et tendit la main vers l’horizon. Nous vîmes, renversé dans le ciel, un mirage grandeur nature de la ville, lumineuse et tremblante, comme peinte sur une soie poudreuse, mais avec une saisissante précision dans les détails. De mémoire, je pouvais nettement en reconstituer tous les sites, le palais Ras El Tin, la mosquée Nebi Daniel, et ainsi de suite. L’ensemble formait une hallucinante composition peinte en touches de rosée. Elle resta suspendue dans le ciel pendant un temps considérable, peut-être vingt-cinq minutes, avant de se dissoudre lentement dans le brouillard qui montait à l’horizon. Une heure plus tard, la vraie ville apparut, tache indistincte qui enfla petit à petit jusqu’aux dimensions de son mirage."
Et tant d'autres choses! On y reviendra.


jeudi 24 mars 2011

Rêve de jeux

Rêve de jeux avec (mon frère?), dans un hôtel, pour lesquels il fallait payer une caution exorbitante.
La même nuit, mais plus tard, je me retrouvais avec Della Rovere dans un "musée de la musique", un immense bâtiment style parlement européen, avec un grand espace central vide, scindant le musée en deux. Nous cherchions la salle où se donnait un spectacle d'opéra cheap comme on les fait à Bruxelles (ballets du Bolchoï sans orchestre, avec des danseurs évoluant sur une bande-son sans doute piratée sur internet - quel gogo peut donc se faire abuser aussi sottement? sans doute des spectateurs belges haut de gamme... car ce n'est un opéra de quat'sous que pour les organisateurs, pas pour le public!). Nous trouvions enfin la salle, mais avions ensuite des difficultés à choisir nos places. Nous nous rendions compte qu'il fallait être habillé en blanc. À ce moment-là, je me suis réveillé, poussé par Della Rovere.

mercredi 16 mars 2011

Même mon nom, mon origine, mon âge, et jusqu'à mon corps...

Je m'accuse de trahison et de duperie, mais, en fin de compte, il me semble possible d'affirmer que cette relation est authentique.

Je vis comme un drame toutes les sollicitations réelles ou imaginaires: quel homme, pourtant, n'en éprouverait pas?

Je cherche des justifications, alors que le présent est sa propre justification, et qu'en tout instant je suis libre.

Parfois, au contact des autres comme dans la solitude, cette relation me paraît lointaine, complètement détachée de ma personne, incongrue. Pourtant même mon nom, mon origine, mon âge, et jusqu'à mon corps, me font de temps en temps cet effet. Rien de ces paramètres extérieurs ne définit qui je suis.

Suis-je dans une liaison d'amour - ou dans autre chose? Reconnaissons que, d'une heure à l'autre, mon esprit instable conçoit une chose et son contraire. Avant d'entendre mon verdict (car je m'érige juge et partie), qu'on me renseigne donc sur les formes que doivent prendre les "histoires d'amour", les passions violentes, les sages bonheurs conjugaux... et bien savant celui qui pourra me le dire!

mercredi 9 mars 2011

Boutique du rêve

Rêve que j'achetais des pierres précieuses, notamment deux émeraudes lisses et grosses comme la main. Dans la boutique (une sorte de grand magasin), j'oubliais mon manteau, que je venais rechercher ensuite.
J'y ai bien sûr vu un message, en relation avec mes préoccupations de la soirée dernière, m'intimant l'ordre d'acheter des actions LVMH (qui vient d'acquérir le joailler Bulgari), et de me défaire de mon portefeuille d'actions, dans l'attente d'une résolution de la crise libyenne... Pour l'instant, l'opération semble plutôt judicieuse.
Mais au-delà de ces mouvements douteux, je pense que tout cela m'a ouvert les yeux sur la vraie nature du rêve, qui n'est pas plus prémonitoire qu'il ne ramène au passé: il ne fait que révéler nos aspirations tenues secrètes, les actions à venir dont nous étions déjà convaincus de l'opportunité. En emmagasinant nos impressions de la veille, le rêve ne dit que nos envies pour l'avenir, peut-être nos futurs regrets.
Désormais je n'ai plus peur de mes songes ni de la nuit. Je peux me promener insoucieusement dans leurs faux mystères, et même les dévoiler au monde. Ils ne m'imposent rien que je ne sache déjà. Et je ne les suivrai que si bon m'en semble, probablement pas!


lundi 7 mars 2011

Marly (suite de suite de realpolitik)

(et on en restera là)

Collectif Marly, collectif Rostand (se prendraient-ils pour Cyrano?)... Je m'en voudrais presque d'avoir critiqué la diplomatie française, tant cela semble hurler dans le sens du vent, témoigner d'une pensée plutôt commune. A la réflexion, je ne reproche pas à la diplomatie française d'avoir mal préparé la crise arabe. Tout le monde, même les intéressés, semble de toute façon n'avoir rien anticipé.
Ce que je lui reproche, c'est justement cette attitude que l'on retrouve dans la tribune du collectif Marly, cette obstination de l'exception française, ce verbiage sur la "politique arabe de la France"... cette absence de remise en cause d'une diplomatie traditionnelle et faite de notabilité, nécessitant bien évidemment davantage de moyens, quand le monde a pourtant changé de visage.
Bref, quand le collectif Marly croit dénoncer une situation difficile par un discours qui se veut cohérent et raisonnable, il se trompe: c'est justement ce discours qui est la cause du problème!

Forêt vosgienne

Rêve de fiançailles avec Della Rovere, problème de la bague (son choix d'une pâte de verre avec motifs violets), puis questions de taxis introuvables.
Ensuite, j'étais avec un groupe nombreux en randonnée dans un paysage de style forêt vosgienne. Nous remontions une piste (avec un homme et deux femmes - qui?), puis nous nous éparpillions, je restais avec une des femmes. Nous descendions un chemin enneigé, la nuit tombait, des torrents de neige dévalaient vers nous et nous n'arrivions pas à courir.
Comme à chaque cauchemar frisant la catastrophe, je me suis réveillé à ce moment-là, sans pouvoir ensuite me rendormir. Lien entre les deux rêves? Suis-je sur ce chemin menaçant et sans retour?... Ou aurais-je dû commander à mon rêve de se poursuivre, qui sait? peut-être aurais-je découvert, à ma grande surprise, que cette bague pouvait me sauver?

dimanche 6 mars 2011

Et salue Alexandrie que tu perds...

Très belle matinée, sous un puissant soleil hivernal, consacrée à la lecture d'un court livre sur Alexandrie. Ce livre évoque à la fois des impressions de voyage, et l'histoire de cette ville mythique, la ville décadente figée à jamais dans mon imaginaire par les poèmes de Cavafy.
C'est le récit de deux villes: la première fondée par Alexandre et par les Ptolémées, capitale du monde antique, qui a survécu, pour simplifier, jusqu'à l'époque byzantine. Puis les Arabes se retirent d'Alexandrie et de la mer, et la ville antique se trouve maintenant à plus de dix mètres sous terre. Quand Bonaparte met le siège devant la ville, elle ne compte plus que 8.000 habitants. Soudain, par la volonté de Méhémet-Ali et le réveil de l'Égypte, une nouvelle ville surgit, peuplée en hâte de toutes les races de la méditerranée orientale, des Grecs qui y voient le moyen de restaurer leur patrie perdue, des Juifs, toutes les minorités échappées de l'Égypte et de l'Empire Ottoman, des Occidentaux. "Alexandria apud Aegyptum", en marge de l'Égypte. Et cet nouvel âge d'or de la ville a duré moins d'un siècle, tout semble de nouveau avoir disparu, être à exhumer dans la poussière et le béton de la ville égyptienne.
J'ignore si je voudrais un jour aller à Alexandrie, si la réalité ne briserait pas la ville fantasmée, entre mer et lagune, la ville-monde engloutie... C'était pourtant dans mes projets urgents, et j'y serais sans doute aujourd'hui, n'eût éclaté la "révolution arabe". Qu'en attendais-je? Je sais très bien que je serai déçu, mais cette déception me semble en valoir la peine, une nostalgie douloureuse et pourtant féconde, d'une "belle époque" désormais aussi distante que les conquêtes d'Alexandre, et dont plus rien hormis de frêles poèmes ne célèbre le souvenir, dont les derniers témoins s'éteignent lentement.
Et cependant, même cette nostalgie pourrait n'être que passagère, peut-être un nouvel âge d'or commence-t-il, prochain carrefour au-delà de la place Tahrir (j'en doute, mais je me trompe fréquemment)? Peut-être aussi, "l'esprit d'Alexandrie" a-t-il simplement migré dans d'autres villes cosmopolites, affairées et savantes, à Londres, à Singapour, à New-York? Où résident des poètes inconnus, que la postérité s'efforcera de distinguer?

vendredi 4 mars 2011

La jeune feuille aux yeux éteints

Ai découvert une merveilleuse boutique d'estampes à Londres, que j'aurais volontiers achetée dans son entièreté. Un magnifique paysage d'Hiroshige, la vue nocturne d'un paysage maritime, avec de petits bateaux qui se reposent dans l'eau calme, des montagnes qui surgissent dans une lumière bleutée. C'était un grand format, un triptyque, dans lequel l'œil pouvait se noyer, se perdre. L'estampe était bien évidemment trop chère (8.000£), mais j'en ai acheté une copie à 50£...
J'ai toutefois fait l'acquisition de trois estampes de bien moindre format, prix, et d'artistes moins célèbres. Deux paysages de style chinois, et surtout, une estampe très simple qui représente deux feuilles mortes dans le coin supérieur droit, le reste étant totalement vide exceptée la signature de l'artiste (Watanabe Shotei) dans le coin inférieur gauche. Cela représente pour moi le message essentiel de l'art japonais, la maitrise de l'espace, la sérénité du vide et du silence, alors que l'art européen aurait voulu au contraire remplir une toile, ou au moins centrer le motif. Même dans la plupart de nos photographies modernes nous refusons le décentrage, et nous nous attachons au cadrage parfait.
On pourrait aussi avoir une lecture "occidentale" de cette estampe, considérer que le motif central n'en est pas la feuille, mais l'espace qui lui reste à franchir depuis le haut jusqu'en bas, la vie en quelque sorte:

Lève vers les cieux son visage
Horreur! l'en deçà, les branchages
Sont à mesure plus lointains.

*

Je me suis renseigné ultérieurement sur les estampes de l'ukiyo-e, et je suis assez étonné de leur prix relativement accessibles, comparés aux prix de l'art contemporain (souvent réalisé avec plus de facilité) ou de la photographie (où pourtant les possibilités de retirages sont infinies). La raison en est sans doute qu'on ignore combien de versions de chaque estampe ont été imprimées, parfois des milliers, et, sauf pour les plus récentes, le collectionneur n'aura pas la certitude d'avoir une série limitée d'une œuvre. Enfin un art qui peut échapper à cette spéculation absurde: si une œuvre est belle, il n'y a aucune raison de ne pas l'acquérir pour ce qu'elle est. Je me demande si une autre raison de ces prix plutôt bas n'est pas le désintérêt des Japonais pour ces œuvres, qu'ils voient peut-être comme un folklore du passé (de même que les vieilles gravures de nos grands-mères): il est vrai que les estampes ont fasciné davantage les Européens, et que, durant une certaine période, l'estampe était avant tout un produit d'exportation.
J'hésite. Devrais-je moi aussi commencer une collection? Dois-je y consacrer une certaine somme d'argent, n'ai-je pas de meilleure façon de le dépenser?