Sur Jean Clair: "l'hiver de la culture"
* est en quelque sorte aussi l'hiver de sa vie. Pages après pages, la répétition de la même idée déjà développée
ailleurs, l'épuisement de l'art, l'effondrement de la culture dans la civilisation marchande... qu'a-t-il fait, à l'époque, pour aller à l'encontre de cette tendance?

Qu'on ne dise pas, par exemple, que Picasso n'était pas aussi un businessman accompli, comme, avant lui, Rubens (entre autres talents): mais Picasso s'est permis des provocations faciles que Rubens n'aurait jamais osé (au pire, en manque d'argent, Rubens aurait fait réaliser un tableau inférieur par son atelier). Vu sous cet aspect mercantile, il n'y a pas une grande distance de Damien Hirst à Picasso. Par exemple, le paragraphe ci-dessous est drôle et juste, mais quelle différence objective y a-t-il entre le
Veau de Damien Hirst et la
Tête de taureau de Picasso (présentée dans l'exposition malhonnête que j'ai déjà
évoquée).
"Soit un veau coupé en deux dans sa longueur et plongé dans un bac de formol. Supposons à cet objet de curiosité un auteur et supposons du coup que ce soit là une œuvre d'art, qu'il faudra lancer. Quel processus justifiera son entrée sur le marché? Comment, à partir d'une valeur nulle , lui assigner un prix et le vendre à quelques millions d'euros l'exemplaire, et si possible en plusieurs exemplaires? Question de créance: qui fera crédit à cela, qui croira au point d'investir?"
Les mécanismes de l'art contemporain que Jean Clair dénonce ne sont pas éloignés,
non plus, des vagues références que Picasso faisait à Velázquez, à
Manet. Tout artiste appelle à lui des maîtres, pour s'en approprier une ombre de gloire, se légitimer, en obtenir le "bénéfice du doute". Lisons le paragraphe suivant:
"Hedge funds et titrisations ont offert un exemple parfait de ce que la manipulation financière pouvait accomplir à partir de rien. On noiera d'abord la créance douteuse dans un lot de créances un peu plus sûres. Exposons le veau de Damien Hirst près d'une œuvre de Joseph Beuys, ou mieux de Robert Morris - œuvres déjà accréditées, ayant la notation AAA ou BBB sur le marché des valeurs, un peu plus sûres que des créances pourries..."