Touchantes fresques dans une chapelle déserte, dont nous avions poussé la porte par hasard. Dans la pénombre, une assemblée de saints, de prêtres, observe les siècles s'écouler lentement. Au-dessus d'eux se déroulent les scènes cent fois répétées mais toujours vivantes, les traversées en bateau, les entrées dans des temples, le visage aimant de la vierge, la lutte de Saint-Georges et du dragon... J'ignore pourquoi cette dernière image m'a tant frappé (à tel point que j'en ai acheté l'icône bon marché dans une boutique voisine): peut-être tranchait-t-elle avec les autres fresques plus statiques? peut-être y ai-je perçu des origines douteuses, réminiscence de combats antiques ou de mythes lointains? et n'est-il pas après tout mon saint patron?
"De sa lance il transperce le dragon, symbole du mal, après avoir fait un signe de croix"* - la belle affaire! Terrasser le dragon et s'en débarrasser pour toujours est le travail d'un héros grec, pas d'un saint chrétien. Jamais nous ne tuerons le dragon. Nous pourrons lui asséner les coups les plus spectaculaires, faire jaillir le sang, parader sur notre cheval blanc avec sa dépouille, personne en ville n'aura l'audace de croire qu'il a disparu pour de bon. Qui se soucie d'ailleurs d'un triomphe définitif? Pourvu qu'il parvienne à survivre sans se laisser lui-même dévorer, à maintenir à distance suffisante le monstre, à exister malgré lui, Georges n'aura pas failli à sa mission ; c'est dans la lutte, et non dans la victoire, qu'il est devenu saint.