jeudi 18 février 2016

Entre villes

Projet littéraire puisque la fiction ne m'intéresse plus et manifestement ne me réussit pas: une semi-fiction (?), une description personnelle de villes, d'époques, de personnes. C'est un peu ces brèves, en quelque sorte, mais amalgamés dans une matière plus permanente, moins temporalisée. J'ai été (rapidement) ébloui par le livre Entre Villes de Stephan Hertmans*, où il prend à chaque chapitre deux villes différents pour en effectuer une comparaison intime: Bruxelles-Amsterdam, Venise-Naples, Vienne-Bratislava. N'ai-je pas fait de même souvent sans le chercher, par association d'idées?

On pourrait sauter de Lagos au XXIe siècle à Venise au XIVe, il y a sans doute des similitudes de situation. Mettre en miroir le monde d'avant Internet et celui d'aujourd'hui. Toutes ces comparaisons font que la vie vaut la peine d'être vécue, que le monde vaut la peine d'être vu - et nous définissent peut-être mieux que dans les logorrhées des contemporains de chaque époque (qui, les yeux rivés sur le présent, ne comprennent rien à ce qui les entoure). Un exemple parmi d'autres: la façon dont nous vivons encore dans "l'ombre infinie de César"*, dans le souvenir de l'Empire romain dont nous n'allons pas réussir à égaler la solidité - cette comparaison nous hante, comment ne pas en voir la résurgence (à tort ou à raison - à mes yeux plutôt à raison) dans la "crise des réfugiés"?

mercredi 3 février 2016

Le rêve dans le labyrinthe des causes (2)



Interprétation, ou "leçon", du rêve. J'ai mis fin à ces brèves depuis un an. J'ai même accusé l'écriture de tous mes problèmes, d'avoir contribué à la construction de fantasmes qui m'ont empêché de "vivre réellement" (est ce que cette expression a le moindre sens? est ce que nous nous vivons jamais réellement? je passe cette question), enfermé dans un sommeil vide, dans un palais merveilleux patiemment bâti par mes mensonges et par les autres - oui ! -  dans l'attente toujours renouvelée d'un événement (à défaut de prince charmant!) qui viendrait me réveiller, secouer ces pierres précaires... J'ai vu s'effondrer d'un coup toutes mes ambitions.

J'ai vu le désintérêt pour le GRMF, j'ai compris qu'il faudrait me contenter de projets plus modestes, intimes, qui ne résonneront jamais ailleurs qu'ici. Qu'avais-je à proclamer de toute façon? Mais j'avais construit ma vie autour de ce projet (j'avais même oublié à quel point cela était vrai: même mon pssage à Strasbourg était motivé par la rédaction du deuxième tome de Moreiro, la nécessité d'avoir un moment de calme avant d'entrer pour de bon dans la vie professionnelle en cas d'échec du livre - c'est tellement extravagant a posteriori que je ne m'en souvenais plus, jusqu'à ce que je redécouvre un ancien journal, quelques lignes que j'avais griffonnées à l'époque (heureusement que ma vie est bien documentée, sinon je réinventerais sans cesse une nouvelle biographie complaisante, en fonction des priorités du moment)).

Plus grave, j'ai perdu ce qui faisait la beauté de vivre avec Della Rovere, cette vie quotidienne, merveilleuse, dont je n'ai pas profité suffisamment, donc je n'ai pas mesuré le caractère fugace, la chance exceptionnelle qui m'était offerte. Qu'aurais-je dû faire? Je m’accroche encore à ce rêve, même s'il ne reviendra plus, je crois qu'il sera encore possible, je mets en place les conditions de son retour - mais ce ne sera jamais que de façon temporaire. A moins de sacrifier bien d'autres choses, nous ne vivrons plus vraiment ensemble avant la vieillesse - si nous ne sommes pas morts d'ici là demain.

Je ne vois pas de solutions qui ne soient pas des renoncements si frustrants qu'ils mèneraient à la rupture - fausses bonnes solutions. Mais peut-être quelque chose de bien se glisse parmi le hasard des événements. Je n'en suis plus réduit qu'au silence, à l'observation (à la manière d'une vache regardant passer les trains).

Même impasse dans la vie professionnelle où j'ai perdu toute estime de moi et où je régresse (curieusement, à l'image de mon organisation)... Là-dessus, je ne vais pas m'attarder...

Enfin, et plus grave encore, l'état du monde me laisse sans voix, sans plus aucune certitude (en avais-je?), de Lesbos à Cologne, de Paris et de Mossoul, de l'Iowa, de la bourse de Shangaï, de Bruxelles... J'ai préféré me taire, et me réveiller quand les choses iraient mieux. Je n'envie pas ceux qui ont en charge le destin du monde, ni ceux qui naîtront cette année. Je ne vois que la mort et l'écroulement de tout.

Le rêve dans le labyrinthe des causes

Rêve que je voyageais à Istanbul avec Watson et Jean le Paisible. Une fausse Istanbul, de nouveau, dont on ne voyait aucun des monuments fameux, pas même la topographie! Le seul point commun était qu'il nous fallait traverser le Bosphore (un petit canal) depuis d'équivalent de Tophané. Nous empruntions une sorte de "pont de singe" que Jean le Paisible dévalait comme un toboggan, au risque de tomber dans l'eau froide.

Une fois cette traversée effectuée, nous devions retrouver la Chalcédonienne* sur l'autre rive, par un bus qui allait dans un lieu appelé Dumdum (ou Dumduk) mais finalement le bus partait sans nous. Nous prenions alors une voiture, remontions la côte vers le Nord, passant un pont et cherchant le fameux "troisième point". puis nous nous arrêtions dans une sorte de café glauque comme il y a en a beaucoup en Turquie. Le temps pressait; nous risquions de rater notre avion. 

A ce moment-là, je recevais un appel de la Chalcédonienne qui me disait que nous ne devions pas nous embêter à la voir, puis, après un moment de silence, que ses deux parents étaient morts, que nous pourrions la voir la semaine d'après - pour les funérailles.

A demi-réveillé, je me rendais compte que ce serait compliqué de trouver un vol pour le weekend prochain.

*

A moitié rendormi, dans ce train matinal que je commence à bien connaître (et où curieusement j'occupe toujours la même place), je me demande pourquoi mes rêves m'ont encore emmené dans Istanbul, même la fausse, alors que j'ai depuis quelque temps déjà réglé mon compte avec la Turquie, que je n'y suis plus allé depuis deux ans, que je n'y retournerai plus avant longtemps, jamais peut-être, et certainement pas avec les mêmes espoirs ni les mêmes désirs qu'autrefois.

Une illusion de plus qui s'est brisée en peu de temps! Et pourtant, tous ces rêves étaient atteignables peut-être. Par essence ils étaient certainement compromis, impossibles, fous - condamnés à se faire massacrer par le réel, asphyxiés dès la moindre protestation... Pourtant, même les choses qui n'ont pas eu lieu peuvent demeurer dans l'ordre du possible, jusqu'à preuve de leur échec. La réalité prend des chemins tortueux, incohérents, absurdes si l'on pouvait la regarder depuis l'amont! Ce n'est qu'en aval que le labyrinthe des causes nous paraît évident, univoque. Et nous nous frappons la tête en nous disant "bien sûr", en regrettant le temps perdu à courir après des illusions, comme Swann après une femme "qui n'était pas son genre", par exemple; mais pendant ce temps là nous avons vécu, et emprunté le même chemin que le monde!