dimanche 19 février 2017

Tentation du bien (2)

Tzvetan Todorov poursuivait cette idée dans son dernier livre, Le triomphe de l'artiste, dont je lis une page dans Le Monde - accusation du messianisme politique de l'Occident libéral. C'est faire peu de justice aux tunisiens, aux burkinabés, aux gambiens, que de les imaginer manipulés par l'Occident pour l'instauration de régimes démocratiques sur son modèle (j'imagine que ce n'est pas le message du livre, mais c'est ce que laisse à penser l'extrait que j'ai sous les yeux). 

Je persiste à penser que la démocratie est la forme la meilleure d'organisation de la société, et par là j'entends une république avec des institutions honnêtes, crédibles, qui permettent à l'alternance de se faire sans violence. Ce qui compte c'est cette alternance, non pas forcément le changement mais la possibilité du changement.

Or précisément, nous avons accepté les contraintes de l'ordre politique internationales (règles des Nations-Unies sur les réfugiés par exemple), de l'ordre commercial (OMC) ou de l'ordre financier (les marchés qui réclament une certaine orthodoxie budgétaire entre autres) qui vont contre les désirs du peuple. C'est ce genre de règles difficiles à modifier qui crée une frustration puissante chez les citoyens. Et ce sont exactement les règles sur lesquelles l'Union européenne a fondé sa norme et sa vertu.
 
Nous l'avons accepté à une époque de reconstruction, de construction, où le souvenir de la guerre était encore vivace. En Europe non plus, cet ordre n'était pas "naturel" peut-être, et il suffit de songer à l'histoire de l'Europe pour constater que nous n'avons jamais réussi à nous unir, malgré la création une civilisation plutôt homogène : les forces d'auto-destruction sont puissantes, notre appétit pour le chaos, notre indifférence à l'ordonnancement des choses, à la stabilité des institutions. C'est contre cela qu'une poignée d'hommes s'était réunis (car leur projet n'avait déjà pas suscité beaucoup d'enthousiasme, et le consensus était aussi étroit qu'aujourd'hui).

samedi 18 février 2017

Trois danseuses

Soirée de grand n'importe quoi dans la nuit d'hiver. Et nous regardions les lèvres, les poitrines, l'allure, imaginant les professions, les origines, les caractères.... Fête confuse, brouhaha, que nous observions assis dans la longue banquette, cachés derrière nos verres - quand soudain passèrent, se tenant par la main comme pour ne pas se perdre, trois jeunes femmes qui se frayaient un passage parmi les groupes mouvants - et nous vîmes trois "danseuses", un Matisse tournoyant et joyeux, surgissant comme une image inoubliable, disparaissant dans les entrailles du café.

jeudi 16 février 2017

Tentation du bien

Mort de Tzvetan Todorov. Il faudra que je relise Mémoire du mal, tentation du bien qui semble dire ce que j'ai toujours pensé des institutions européennes, une tentation dangereuse à se présenter comme les uniques dépositrices du bien contre le mal, là où tout ce qu'elles font n'est jamais qu'arbitre entre différentes options, certaines totalement valables mais non suivies, balayées rapidement comme idiotes ou amorales - non "vertueuses" en quelque sorte par rapport à une "vertu" créée de toute pièce pour se regarder agréablement dans le miroir.

C'était le coeur de ce que je voulais écrire dans mon "bouquin sur l'Europe". Mais, depuis, beaucoup de choses ont changé et ce projet est à revoir La crise de l'Euro, et plus encore la crise des réfugiés, ont suscité des remises en cause si bouleversantes que les institutions en ont perdu leur narratif: voulons nous l'austérité au risque de plonger des pays dans des crises profondes? voulons nous être généreux et accueillir les migrants, ce qui ferait notre honneur, ou souhaitons-nous préserver des équilibres démographiques ? En quelques mois, les mêmes ont été forcés de tenir des discours et de mener des actions totalement contradictoires... Heureusement, les institutions sont capables de flexibilité et d'amnésie. Appelons cela realpolitik ou cynisme, c'est ce qui leur permet de survivre encore un peu. La tentation du bien était une imposture mortifère, pratique à claironner mais impossible à assumer pour des institutions basées sur le compromis.

"Vouloir éradiquer l'injustice​ de la surface de la Terre ou même seulement les violations des droits de l'homme, instaurer un nouvel ordre mondial dont seraient bannies les guerres et les violences, est un projet qui rejoint les utopies totalitaires dans leur tentative pour rendre l'humanité meilleure et établir le paradis sur Terre." (Tzvetan Todorov)

jeudi 2 février 2017

D'un pays non-visité

Rencontre fortuite dans le tramway: le fantôme de Wiedergrün... Simple rappel de ce qu'aurait pu être l'autre vie, si différente de celle que mon pessimisme m'a dépeint sans cesse... Comme si nous vivions toujours au bord du ravin, prêts à nous abîmer au moindre mauvais choix! Mais non, plusieurs routes auraient pu être prises, et chacune aurait eu sa part de bonheur, comme celle-ci, comme une autre.
 
J'aurais aimé m'avancer et lui parler - mais pour dire quoi? Pour rappeler que rien s'était passé il y a dix ans? Ou que son rêve, comme une destinée possible, a été très souvent médité, caressé... A quoi bon? Une telle présence pour une personne inconnue lui aurait paru au mieux loufoque, au pire inquiétante... Il faudrait pouvoir mesurer l'importance qu'ont prise, dans notre vie, les histoires que nous n'avons pas vécues, les pays que nous n'avons pas visités mais qui demeurent, intacts, avec leur promesses lumineuses, avec les monuments audacieux que nous y avons construits.