Sur France Inter, l'écrivain et maintenant chanteur Gaël Faye mentionne un procédé poétique qu'il affectionne chez Georges Brassens : le remplacement d'un morceau de phrase attendu par un autre. Il cite l'exemple de la chanson "Le pornographe":
"Je ne fais pourtant de tort à personne,
En suivant mon chemin de petit bonhomme"
Qui devient:
"Je ne fais pourtant de tort à personne,
En suivant les chemins qui ne mènent pas à Rome"
Il y en a un exemple plus parlant encore dans "Le père Noël et la petite fille" :
"Il a mis du pain sur ta planche
Il a mis les mains sur tes hanches"
"Il a mis du grain dans ta grange
Il a mis les mains sur tes hanches"
"Il a mis l'hermine à ta manche
Il a mis les mains sur tes hanches"
"Il a mis de l'or à ta branche
Il a mis les mains sur tes hanches"
Qui devient:
"Le joli temps des coudées franches
On a mis les mains sur tes hanches"
Ce "on" définitif, comme un salissement indélébile, donne son tragique à la chanson par le simple changement du pronom. Curieusement, dans la reprise qu'elle en a faite, Barbara n'a pas repris la formule, évitant de dire "On a mis les mains sur mes hanches". Inadvertance? La chanson perd quasiment tout son intérêt, perd son universalité. Ou peut-être précisément Barbara n'a-t-elle pas osé, ni voulu, maudire la petite fille qui subit le viol de la société. Peut-être a-t-elle considéré ce message trop lourd, elle qui connaissait ce sujet, et a-t-elle préféré croire à la possibilité de l'oubli.