mardi 23 novembre 2021

Lignes de faille

Ressemblance troublante entre Dino et des photos d'autrefois. Et je me prends à rêver... qu'il serait possible de lui offrir une jeunesse, joyeuse, sans les failles de ma propre jeunesse.

Comment ne pas lui transmettre ces failles, ou ne pas lui en transmettre d'autres, plus grandes encore ? Sans compter les failles que provoqueront d'autres personnes, et dont je ne me rendrai même pas compte ! 

samedi 20 novembre 2021

W polityce głupota

Commentant la déplorable actualité polonaise, Donald Tusk (dont j'apprécie nombre de prises de parole) écrit : "Le monde a été étonné après l'interview du Premier ministre polonais, dans laquelle il annonce la troisième guerre mondiale causée par le conflit entre la Pologne et l'Union européenne. En politique, la bêtise cause les malheurs les plus graves."

J'ajouterais à la bêtise: la fatigue. Et un mélange des deux, peut-être la pire cause de malheurs: la croyance en la permance des choses. En politique, à la force des institutions. Dans les relations humaines, à la valeur des contrats et des serments. Nos lignes Maginot mentales, qui nous font prendre les constructions humaines pour des réalités.

Cette croyance a fait s'effondrer des empires... Et même après leur chute, certains continuaient à les croire immuables, sous d'autres formes (lire le récit d'Eileen Powell, sur cet aristocrate gallo-romain dans sa villa au VIe siècle, ravi de sa vie confortable et érudite pourtant condamnée à l'anéantissement).

Sans aller dans un exemple aussi lointain, regardons nos démocraties fragiles, nos institutions bancales, construites sur trois bouts de papier. Nul besoin de hordes barbares. Un souffle, propagé par de mauvaises bourrasques, et tout est fini. 

Sur la citation d'Alfonso Reyes

A cette citation ("Nous publions afin de ne pas corriger indéfiniment nos brouillons"), j'ajouterais une étape initiale: nous écrivons pour nous débarrasser des idées qui nous hantent, pour pouvoir passer à autre chose. C'est aussi l'usage de ce blog.

Je repense aussi à mon projet de voyage parisien de Sofia Frino. Cela fait cinq ans que j'y réfléchis. J'aurais mieux fait d'écrire rapidement quelque chose à l'époque plutôt que de retourner sans cesse cette histoire insignifiante dans mon cerveau. D'ailleurs, je me désole de n'être hanté que par cette histoire insignifiante. Même de ma vie actuelle, il y aurait matière à faire des livres autrement plus captivants et vrais

Dune

On me recommande Dune, je le lis (à la "faveur" d'une atttaque de covid que j'espère encore modérée...). Les 150 premières pages sont très étranges. Quasiment pas d'action, mais une suite de dialogues entre différents protagonistes. On dirait du théâtre, du théâtre no peut-être, avec des personnages dont on nous annonce à l'avance par des citations liminaires les traits de caractères (le traître, la prêtresse...), de longs silences où l'on observe le paysage, un détail d'architecture.

Je ne crois pas avoir déjà lu quelque chose de semblable. Cette narration non-narrée apporte un mystère supplémentaire au livre, au-delà du vocabulaire ésotérique et des péripéties que j'imagine plutôt communes dans les livres de science-fiction. 

dimanche 7 novembre 2021

Sur trois mémoires

Pour les besoins d'un projet très embryonnaire j'avais acheté en début d'année quelques récents livres de mémoire. Je ne m'attarde pas sur la ridicule, snob et indécente Jeunesse de Pierre Nora. Plus intéressant et modeste, Une jeunesse à l'ombre de la lumière de Jean-Marie Rouart, quoiqu'encore sur ce milieu parisien intellectuel qui semble le seul en France à pouvoir produire des écrivains... 
Pour un peu de fraîcheur, feinte ou pas, lire plutôt Ma vie d'écrivain de Patrick Rogiers, un écrivain artisan de grand talent, rapportant ce qu'il faut d'anecdotes érudites et de remarques personnelles pour rendre le lecteur plus riche une fois le livre refermé (combien de livres, au contraire, nous laissent un sentiment de gaspillage, surtout avec leurs prix excessifs). 

PS: citant Alfonso Reyes: "Nous publions afin de ne pas corriger indéfiniment nos brouillons." 



Dalla Tana al Ghattajo è sichurissimo

Dans le fantastique livre d'Eileen Power, déjà mentionné, cette phrase à laquelle je pense souvent, citation d'un voyageur florentin : "le chemin pour aller de Tana au Cathay est parfaitement sûre". Sichurissimo... en ces temps troublés, on se prend à rêver. Peut-être y a-t-il eu quelques brèves années au XXe siecle où ce chemin a été possible... Je me souviens par exemple des livres de Bernard Ollivier (Longue Marche) qu'il faudrait relire !
De Tana à Beijing par la Russie, le Kazakhstan et la Chine devrait encore être pratiquable, à condition de montrer patte blanche et visée touristique. Les autres itinéraires sont sans doute fermés, à part la voie maritime qu'emprunte l'essentiel de notre commerce, et la voie aérienne bien sûr, si facile qu'elle est à peine un voyage.

"Il n'y eut pas que des missionnaires qui se rendirent au Cathay. Odoric, parlant des merveilles de Hangzhou, renvoie pour confirmation à des marchands vénitiens qui l'ont visitée: "c'est la plus grande ville du monde entier... Etc

Le bon larron

Souvenir d'Éthiopie, parmi tant d'images frappantes et qui restent en mémoire, une représentation très simple de la crucifixion sur le mur d'une église, à Lalibella. Je n'arrive pas à en retrouver l'image, ni dans mes photos, ni sur internet... On y voyait la croix avec à gauche un carré surmonté d'un triangle orienté vers le haut, à droite un carré au-dessus d'un triangle descendant... "Jésus, souviens-toi de moi lorsque tu viendras dans l’éclat de ton règne. / En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis."
Économie des mots et économie des signes... Mais pour le croyant, un message évident, émouvant, presque magique. 

lundi 1 novembre 2021

La terre riait encore (2)

Sur la nostalgie, je lisais récemment cette remarque d'un Européen de l'Est qui se demandait pourquoi la génération de ses parents continuaient à éprouver de la nostalgie pour l'époque communiste : finalement, disait-il, mes parents ne sont pas nostalgiques des longues files d'attente, des privations de liberté, des organisations de propagande... Ils sont nostalgiques de leur jeunesse. 

La terre riait encore

"La terre riait encore" Jacques Chardonne cité par Michel Deon (qui lit encore l'un ou l'autre?), citation dégottée dans un bouquin jauni mais passionnant et au titre aguicheur: le rendez-vous de Patmos.

Dans le livre, il s'agit de la nostalgie de la Grèce d'avant-guerre, celle de Lawrence Durell... Chaque époque est nostalgique de la précédente. Michel Déon va chercher loin la Grèce authentique, tant les touristes envahissent les îles, les monastères et les villages se vident... On parle des années 1960.

Si je plonge dans mes souvenirs, je crois avoir vu un peu de cette Grèce enchantée, les petits ports déserts, les tavernes où l'on passait dans la cuisine choisir son plat en soulevant les marmites (quel plaisir!), les chèvres capricieuses, la simplicité de la vie... Était-ce une réalité, une illusion ? Pour un petit enfant du péri-urbain qui ne connaissait que son pavillon, son école et son supermarché, la Grèce offrait un contraste presque démesuré. D'ailleurs, les souvenirs de l'enfance à la maison et ceux de l'enfance en vacances sont comme deux univers éloignés, à peine reliés par quelques réseaux d'étoiles. 

Au mitan de sa vie

Sylvain Tesson commentait sur le destin d'Ulysse et des autres héros, dont l'objectif était d'être "au mitan" de leur vie, là où le soleil tombe directement, sans les ombres projetées de la nostalgie ou de l'envie. L'homme ne peut se dire heureux, n'être dans la plénitude de son être, que s'il s'affranchit de ses tensions en avant ou en arrière. "Je suis là où je dois être."

À un moment, il y a quelques semaines, je l'ai pensé. Mais c'est un état impermanent (contrairement à ce que suggère le "ser feliz" de la langue espagnole). Plus le temps passent, plus les regrets s'accumulent, et plus les frustrations grandissent - car le champ des possibles se réduit, et remettre à demain devient une pratique incertaine. Mais les objets de nos regrets et de nos frustrations perdent aussi de leur valeur.