jeudi 9 septembre 2021

Une source obscure d'autorité

Parmi les nombreuses énigmes de ma jeunesse, cette question qui revient sans cesse: pourquoi mon père ne m'a jamais parlé ? Pourquoi il ne m'a jamais rien dit ?

Bien sûr, il bavardait, racontait des anecdotes professionnelles, parfois un souvenir lointain et peu précis. Mais par exemple, d'expliquer pourquoi ce souvenir un compter, pourquoi son métier l'intéressait (ou pas), cela je ne l'ai jamais entendu.

J'ai l'impression d'avoir eu dans mes parages une source obscure d'autorité, avec des explosions de colère imprévisibles, des réflexions absurdes que j'ai fini par ne plus respecter, et une sorte de morale étriquée faite de conventions non réfléchies, non expliquées et souvent inexplicables.

Si je me souviens bien, il y a eu deux ou trois essais, quand il m'avait donné ses "feuillets", lu un poème de Baudelaire (j'avais déjà plus de 20 ans). Et ces dernières années, les souvenirs se font plus vifs, plus précis, il me raconte une enfance complexe et malheureuse. Pourquoi ne pas en avoir parlé plus tôt ?

Certes, à l'époque, je n'étais peut être pas disposé à écouter, certainement pas à m'épancher, je le fuyais comme je fuyais les autres, plus lui que n'importe que d'autre. C'était un étranger pour moi, un étranger sur une autre planète. Et pourtant, je l'aurais entendu sans le vouloir. Tous les souvenirs avec mon père sont gravés d'une façon plus forte (peut être parce qu'ils ne sont pas nombreux) : quand nous étions allés le voir à son bureau et qu'il m'avait montré son ordinateur, les sorties sur le solex, la journée où nous étions allés à Waterloo, au musée d'Ixelles et à la maison d'Erasme (sans soupçonner que ces lieux déviendraient ceux de ma vie future). 

Pourquoi? Pourquoi ? Pourquoi ?! Comment peut on se fermer à ce point ? Et vivre si longtemps sans altérité ? Et en a-t-il toujours été ainsi ? Et aurait-il pu en être autrement ?