La mort de Meyr. Je l'ai apprise la semaine dernière, et voulais écrire une oraison funèbre bien inspirée. Mais je n'en ai pas eu le temps, et voilà qu'on m'écrit que Meyr s'est suicidé. Meyr! que je mettais à l'égal de Socrate, que j'avais fait figurer dans la trinité des sages de Moreiro, avec Pelks et Belsz. Événement apocalyptique aussi bien dans le sens moderne qu'ancien - catastrophe et révélation. Il fallait bien que ce soit aujourd'hui...
Je connaissais certes son pessimisme profond, que je croyais contrebalancé par son humour, ou son appréciation des belles choses (sa collection d'estampes en témoignait). Il prophétisait la fin du monde tel que nous le connaissons, l'avènement d'un "communisme doux" (sans être lui-même communiste, et cette perspective ne le réjouissait guère). Pourquoi un grand esprit ouvert et inventif comme lui n'a pas eu la curiosité d'attendre que se réalisent ses prédictions, de savoir que la marche du monde prenait bien la direction qu'il avait envisagée?
Et c'est sans doute ce qui me bouleverse le plus dans ce suicide: que ses soucis personnels aient étanché la soif de connaissance, éteint le désir d'être spectateur confortable du monde, à défaut d'en être acteur. Il était pour moi le représentant de l'ordre ancien, l'homme qui a fait le choix d'une vie consacrée à l'étude, au partage de la connaissance... Tout cela pour s'achever dans un vague pavillon, près de l'autoroute... comme on est loin du message de Meyr, du message des grecs anciens à la recherche de la vérité de l'homme! J'ai le sentiment d'une trahison personnelle, comme si le seul message révélé dans ce suicide était le suivant: le monde ne vaut pas la peine d'être connu, ni son avenir.
Ou bien y a-t-il un autre message enfoui plus profondément? est-ce que Meyr nous aurait signifié que la "fin du monde" qu'il décrivait a, en réalité, déjà eu lieu sans que nous ne nous en soyons rendu compte? Le discrédit complet des politiques renvoyés par les extrêmes et les "indignés", l'effondrement de la finance internationale et des grandes économies occidentales, le déclin culturel qui nous a fait perdre toute attache aux racines anciennes de notre civilisation, à part une vague nostalgie commerciale... Si l'engrenage est déjà enclenché, mieux vaut, effectivement, mourir que d'assister à ce gâchis, nous dirait-il dans une dernière leçon magistrale.
Ou bien est-ce encore autre chose?