Au milieu d'un hiver rigoureux, quelques briques et du sable, abandonnés sur un trottoir par quelque entrepreneur sans doute incapable de poursuivre les travaux, m'ont rappelé ces paysages extraordinaires de briqueteries autour d'Antananarivo, marais désolés, où brûlent par l'intérieur de mystérieuses ziggourats. Dans cette petite Mésopotamie recréée me revenaient des réminiscences d'époques oubliées, des débuts de l'histoire où l'homme emprunta une de ces briques encore molles et y grava les preuves de sa richesse, le nombre de ses bœufs, de ses outils. Le lieu et le temps où il lui apparut que la possession pouvait être attestée par des signes dématérialisés, et que, dans le vaste nuage des traditions de la cité, une autre réalité pouvait s'imposer au-delà des quelques années précaires qu'il lui resterait à vivre.
D'ailleurs, nous nous méprenons sans doute en imaginant le Sumérien comme un vague successeur de ces hommes préhistoriques braves, mais lents à la détente - et qui (prétendons-nous) auraient eu besoin de plusieurs millénaires pour comprendre l'intérêt d'une pierre taillée plutôt que polie... Qui nous dit que la révolution de l'écriture n'est pas apparue aussi soudainement que nos fameuses "technologies de l'information et de la communication", et que tout Sumer ne s'est pas mis immédiatement à consigner ses biens sur des tablettes, dès l'instant où un premier homme mû par une intuition étincelante commença à le faire, de même que nous nous précipitons sur nos i-pods, nos smartphones, nos ordinateurs, pour y mettre à jour nos profils, nos blogs, nos tweets, nos comptes en ligne, pour y étaler le nombre de nos amis ou l'étendue de nos préoccupations quotidiennes - informations aussi cruciales et rébarbatives que les comptabilités d'Ur et de Lagash.