dimanche 29 avril 2012

Préface (2)

La vraie raison de cette publication pourrait aussi être de vouloir se soumettre au verdict des autres. Oui, Paul Toussaint est lassé d'être hanté par ses propres poèmes, sans que personne n'y prête jamais intérêt (sauf moi, et pour partie Irène Adler, si elle en a gardé le souvenir). Il veut savoir s'il a perdu son temps, s'il a égaré sa personnalité naissante dans de futiles désirs - ou si, au contraire, tout cela avait finalement un sens.
Dure question! Mais la réponse pourrait être encore plus dure, si jamais elle vient.
Quant à mon jugement, Paul Toussaint ne pourra jamais s'en satisfaire, tant il nous sait nostalgiques du maigre pain qui nous a nourris en temps de disette, encore touchés des moindres sourires reçus dans cette période grise - tant il nous sait si injustement, immodérément généreux envers notre passé!

samedi 21 avril 2012

Préface


Paul Toussaint me dit vouloir procéder à la publication de ses poèmes de jeunesse – publication électronique en format kindle car, le connaissant, il est bien trop radin ou trop réaliste pour publier à compte d'auteur (et que ferait-il de 500 livres qui arriveraient chez lui?). Il a repris les poèmes de 1999 à 2005, le "merveilleux pont de ses années parisiennes"*, durant lesquelles j'avais le plus de familiarité avec lui. L'édition était alors une de ses préoccupation, mais je ne crois pas qu'il envisageait de publier de la poésie: tout cela lui semblait trop personnel, trop explicite, et d'un intérêt limité dans un monde indifférent à la forme poétique (ce pour quoi j'ai déjà montré mon étonnement, car les blogs, les tweets, et même le livre électronique qui permettent de faciles promenades de courts textes en courts textes, le triomphe du slam et du rap, le règne du marketing et des "formules magiques" – tout cela devrait inciter à un retour à la poésie! Ou alors, sommes-nous devenus dégoutés des mensonges de la poésie, dans un univers saturé de mots?).

La publication de ces poèmes me paraît la suite logique de leur diffusion sur Internet – sur les sites auxquels je me suis souvent référé, et dont j'ai contribué à la création.

Pourtant, il hésite. A la relecture, me dit-il, les poèmes lui ont paru distants, éloignés de ce qu'il est aujourd'hui comme de ce qu'il était alors: ils ne correspondent pas à ses souvenirs de l'époque. Par exemple, il n'y est jamais question d'un "exil" loin de son île natale (la Martinique). Tout est environné de l'air gris et froid de la région parisienne, du sentiment de l'échec (alors que ces années ont connu leurs moments heureux et leurs réussites incontestables). Était-il trop influencé par les auteurs que nous lisions ensemble, Rimbaud, Cavafy, Pessoa, qui "emportent avec eux la conscience de leur défaite, comme un étendard couvert de gloire"?

Plus secrètement, sans doute craint-il les conséquences d'une publication auprès de ses connaissances proches, qui ignorent cet aspect de sa personnalité, de son passé – dont jamais il ne parle –, surtout maintenant qu'il entreprend avec succès des affaires immobilières panafricaines, dans ce pays humide et sans Etat qu'il compare à une douce Somalie. Certes, la peur d'avoir parlé, l'angoisse de perdre son masque, la certitude que seule la mort serait à même de libérer ses mots, hantaient déjà ses poèmes… mais est-ce encore pertinent? Qui se soucierait de vérités d'il y a dix ans? Il pourrait très bien les présenter comme les mots d'un autre – les miens, même!

Quant à la notoriété… On ne peut pas dire que ce soit ce qu'il recherche, car il se dit conscient des déchirements qu'elle pourrait provoquer dans sa vie confortable (pourtant, quelques déchirements ne seraient pas superflus, le sortiraient peut-être de son silence, de cette torpeur "tropicale" dans laquelle il s'est enfermé depuis que je l'ai vu pour la dernière fois). Quel crédit accorder à ces affirmations spéculatives? Car pourquoi publierait-il, si ce n'est pour que d'autres apprécient ce qu'il a fait, pour qu'il soit reconnu?
A cela comme à tout, il détient une réponse toute faite: laisser une trace de ce qu'il était, disperser le malentendu qui fait de lui cet être sympathique, peu profond, qu'on a connu en maintes occasions, cet être souriant sur les photos. Il publie pour que d'autres lisent ses poèmes, qu'ils y trouvent des mots utiles à leur survie - comme il l'écrivait dans son Testament (poème que curieusement il n'a pas retenu dans cette anthologie):
"Je ne suis pas mort sans écrire deux-trois poèmes
Sans clamer que la vie est éternelle
Je vivrai toujours si mes enfants jouent de par le monde
Et peuvent respirer l'air que j'ai un jour expiré
Aux jours divins de ma jeunesse!"
Oui! rien ne lui importe plus qu'une gloire posthume (pourvu qu'on ne le questionne pas de son vivant)! Et, d'une certaine façon, sans oser se le prononcer, il fait cela par fidélité au jeune homme d'autrefois, l'écrivain rêvé qu'il n'est plus.

*


Voilà pourtant qu'en retravaillant à la publication, le goût de la poésie lui est revenu, me prétend-il. Certains poèmes ont été modifiés, réécrits; il a tranché douloureusement dans le corpus patiemment constitué autrefois, supprimant des poèmes qui lui tenaient à cœur, dont il se souvenait du contexte, mais qu'il a jugé trop faibles. Se séparer de textes anciens n'est pas chose aisée, pour lui qui (comme moi) a une approche patrimoniale de l'écrit, et considère que chaque mot nouveau sur une page blanche est une victoire sur l'existence.

Dans ce travail, il a retrouvé l'essence de la poésie, qui n'est pas seulement comme le prétendait le poète Eclo "l'étalement de sa propre merde pour la servir aux autres", mais aussi quelque chose de plus lié aux mots, l'expression dans sa forme condensée, contrainte (avec le risque perpétuel de s'éloigner du sens, ou de se transformer en jeu mièvre et abscons), là où la prose consisterait en la poursuite d'un effet, d'une idée, d'une métaphore, dans ses plus vastes articulations comme ses plus profonds recoins.

Et à moi aussi, d'en avoir parlé à Paul Toussaint, après tant d'années absentes, d'avoir relu 2N2J, le Voyage d'hiver, la Mer calme, Afsaneh, le Journal, le Pont des soupirs, m'a redonné le désir de reprendre l'écriture, de retourner à mon être d'autrefois, authentique et libéré. De revoir bondir les mots hors de leurs enveloppes cachetées, dans des poèmes lumineux, sous des ciels nouveaux, en accord avec les préoccupations du monde et non les tribulations d'une âme dans une fausse prison. Mettons-nous à l'ouvrage!

lundi 9 avril 2012

Rêve de la résurrection (2)


Je m'étais promis d'y revenir, et j'ai profité du weekend de Pâques (après quelques distractions vénielles) pour relire les passages des évangiles sur la résurrection. Essayer de comprendre ce qu'en ont dit les évangélistes, sur ce qu'ils ont vus et sur la nature du Christ résuscité. Mais je dois avouer que cette lecture me laisse quelque peu perplexe...
D'abord, les évangélistes n'y consacrent très peu de pages. Puis les textes semblent hésiter: devant la tombe, il n'y a tantôt rien (Lc 24 12, Jn 20 6-7), tantôt "l'ange du seigneur" (Mt 28 2), tantôt un homme (Mc 16 5), tantôt deux hommes (Lc 24 4) ou deux anges (Jn 20 12). Ensuite, il n'apparaît presque pas, ou devant de petites audiences - aux femmes devant le tombeau, (Mt 28 9-10) ou seulement à Marie de Magdala (Mc 16 9, Jn 20 14-17), aux pèlerins d'Emmaüs (Mc 16-12), aux disciples soit en Galilée (Mt 28 16-20) soit à table (Mc 16 14) soit "au milieu d'eux" (Lc 24 36), huit jours après (Jn 20 26), puis quelques jours plus tard sur le bord du lac de Tibériade (Jn 21 1). Je découvre aussi avec surprise ce passage rarement cité (et pour cause!) où est désamorcée la possible objection que ce seraient les disciples qui auraient dérobé le corps (Mt 28 11-15).
Quant à la nature du Christ lui-même, elle est plus qu'étrange: on peut le toucher (Jn 20 27), il mange un morceau de poisson grillé, certes, ce n'est donc pas un "esprit" (Lc 24 38-43); mais aussi il franchit les portes fermées ( Jn 20 19, Jn 20 26 insistant lourdement sur cet aspect), puis il est emporté au ciel (Lc 24 51)...
J'ai bien fait mon travail, mais je ne suis guère plus avancé!

Page facebook de Picasso

Le visage était oubliable... mais ces fesses! je les ai suivies durant une bonne partie de l'exposition. De toute façon, il n'y avait pas trop d'attention à porter à cette description caricaturale de l'univers d'un grand artiste méditerranéen: un soleil permanent, des enfants qui jouent, des amas de chefs d’œuvre disséminés dans la maison. Comment peut-on accorder le moindre crédit à tout cela?

Je ne nie pas que Picasso est un génie (bien qu'il y ait à prendre et à laisser dans ses réalisations), mais il me semble que le photographe (David Douglas Duncan) s'est maintenu dans une admiration béate, dans la posture grotesque du courtisan. Qu'on juge, par exemple, la façon avec laquelle il a forcé la porte du peintre, en lui offrant une énorme bague en or massif gravée à leurs deux noms et une pierre au reflet de coq: Picasso a dû immédiatement y voir le bon pigeon à berner, utile pour façonner sa légende.
Ainsi, au lieu de la vérité d'un artiste, nous ne voyons que la représentation d'un spectacle sympathique ou, si j'ose dire, une "page facebook" de Picasso, où toutes sortes d'événements heureux, de créations intéressantes sont exhibés, sans aucun défaut ni aucun recul.

Un dernier point: pour Picasso, le dimanche réussi devait se dérouler "le matin à la messe, l'après-midi à la corrida, et le soir au bordel" (toutes occupations aujourd'hui un peu passées de mode...). À défaut, j'ai passé mon dimanche à méditer sur cet univers factice dans lequel nous évoluons, celui des réseaux sociaux comme de la vie quotidienne, où toutes les difficultés doivent être gommées, tues. Il n'y a plus de place pour un être authentique et complet, avec ses noirceurs comme ses lumières, ses complexités. Et ce blog n'échappe pas plus à la règle, puisque j'y dissimule ma vie officielle, autant que mes instants heureux, ensoleillés!