mercredi 29 mai 2013

Retour de France

Week-end de retrouvailles dont je garde une impression mitigée... Tous ces amis sont devenus des parents, ou vont bientôt le devenir, tellement gentils, aimants (surtout les pères! cela m'incite à penser que la génération de nos pères a vraiment vécu un âge d'or: facilité de trouver un emploi, de s'acheter un logement, sans beaucoup d'implication exigée à la maison - c'était vraiment un autre univers). Ils ne voient plus les choses de la même façon; par exemple, leur temps de concentration est désormais limité, et tout autre sujet que mariage, enfant, ou à la limite changement majeur de travail, ne mérite plus leur attention. On croit revenir comme le fils prodigue, mais personne ne s'en réjouit vraiment; comme un super-héros, mais le héros
est nu dans son costume, sans aucun pouvoir supérieur, fatigué, contemplant l'étendue de son échec.
Il y avait pourtant beaucoup à retenir. Par exemple, les répétitifs exemples de la "frugalité" dans l'entreprise (entendre, "austérité") et les réactions étonnées, envieuses, lorsqu'un ami travaillant pour un fournisseur automobile (!?) assurait qu'on "se gavait" dans son entreprise (entendre, bureaux décents, véhicules de fonctions, frais divers et variés, tout ce que la génération antérieure pouvait raisonnablement espérer obtenir).
Dans le même ordre d'idée, cet indien qui est retourné à Delhi après dix ans en Allemagne et à Londres, trouvant insupportable le discours de crise et de déclin dont il était environné: gardons en mémoire son franc éclat de rire quand je lui ai appris que le Royaume-Uni envisageait de quitter l'Union européenne (sans doute entrait dans sa réaction un peu de mépris post-colonial - mais il faut reconnaître que, vue d'Inde, l’Angleterre est sans doute bien peu de choses).
Enfin, et plus gravement, les remarques anti-européennes servies gratuitement et avec conviction, sur les salaires de tel ou tel (écho des récents problèmes français sur la transparence?), sur quelques affaires récentes (avec légitimité et pertinence, parfois - mais le plus souvent lié à des préoccupations corporatistes), sur l'effondrement prochain de l'euro (une annonce que le même ami (banquier) me fait depuis huit ans systématiquement! je ne suis plus guère impressionné - mais il ne faut pas s'étonner des troubles qu'a connu la monnaie unique si l'esprit qui domine dans les milieux bancaires est aussi borné). Ce n'est pas forcément l'idée d'Europe qui est en cause (même si les succès passent totalement inaperçus), plutôt la façon de faire l'Europe, à laquelle se mêlent les considérations déclinistes et anti-politiques que l'on entend maintenant partout. Pourquoi pensais-je que les choses auraient dû être différentes, venant de ces amis? Dans la voiture, au retour, je commençais à envisager une vie différente, un monde dans lequel l'Union européenne n'existerait plus. Ce serait l'occasion de quitter le navire, sans doute, trahissant mes éphémères velléités d'engagement politique, et je m'apprêtais à dire à Della Rovere de préparer ses cartons (pour refaire notre vie ? ? ou ?).

lundi 20 mai 2013

Granadinos

Discussion avec des connaissances grenadines. Leur incompréhension devant le comportement et les facultés de survie de leurs amis: soupçon d’activités parallèles, soutien hypothétique des parents (eux-mêmes au chômage)... ils n'osent rien demander, par peur d'offenser. (Cela me confirme que, de même qu'on ne voit rien de trop loin, on ne voit rien de trop très.)
Ils ne comprennent pas leur environnement proche, et leur indignation est légitime; ce n'est pas un problème de déficit ou de compétitivité, ni d'éducation ou de motivation, mais l’habituel cocktail discret*, la corruption, le népotisme, la fraude tolérée, généralisée - la défaite du droit. Et contre cela, nous n'avons pas besoin à court terme d'économistes ni même d'entrepreneurs, mais de juges.

dimanche 19 mai 2013

Son visage, dans un rêve – et quel rêve!

Ce rêve "plus vrai que n'importe quelle existence"*, un mélange de ceci et de cela, où j'ai été heureux, amoureux, victorieux! Avec quelle joie triomphale me suis-je emparé de mon trophée!
Si je me suis réveillé en sursaut, ce n'est à cause ni d'un rai de lumière, ni d'un bruit dans une chambre voisine, ni de l'instinct de survie qui me donne le pouvoir d'interrompre mes rêves quand ils tournent mal - non: je voulais enregistrer cette possession dans ma comptabilité, je voulais me souvenir qu'au moins dans ce monde parallèle mes succès sont complets, définitifs!
Et par dessus tout, quelle sensation d'épanouissement surnaturel, que je n'aurais sans doute jamais éprouvée avec une telle force dans la vraie vie! "Quelles images magiciennes"* - auxquelles n'ont succédé aujourd’hui que dépression et amertume..

¡Puisse-t-il m'être accordé de réussir à orienter mes rêves* dans cette direction nuit après nuit, à défaut d'exercer ma volonté à atteindre ce but dans la vraie vie, à défaut de pouvoir me rendormir aux heures d'angoisse en ayant sous mes yeux ce visage reposé, en sentant contre mon corps ce corps blotti sur lui-même, marmotte emportée par un paisible et durable sommeil, la protégeant de mon étreinte comme en un quart solitaire, lui assurant une traversée sans encombre, sous la brise de mes rêves, vers les autres rives de sa vie lumineuse - à jamais secrètement attachée!

jeudi 16 mai 2013

Ce qu'on ne lira pas (2)

Et mon retrait des brèves n'est pas lié qu'à des progrès livresques (d'ailleurs largement à l'arrêt ces derniers jours pour cause de voyage); j'en apprends plus en ce moment sur "la vie" que pendant les années précédentes, expérience dont je ne peux guère faire part ici. L'époque du "jeune professionnel"* est vraiment passée, quand j'osais claironner d'innocentes idées sur le monde, la cité, l'homme, ou sur moi-même! (Ceci dit, nul ne s'est réveillé au son maladroit de ce clairon...) Mais je ne veux pas perdre foi dans la possibilité de dire.
La malhonnêteté, la paresse intellectuelle et l'ingénieuse capacité de l'homme à scier sa propre branche, les
vastes luttes d'influence, l'expérience de l'impasse... J'avais bien cela en tête, certes! mais comme une réalité lointaine, comme l'existence de la planète Pluton ou des cœlacanthes dans les profondeurs comoriennes - c'est autre chose d'y être soudain confronté.
Je ne voulais pas non plus prêter l'oreille aux théoriciens du complot, aux déclinistes, aux indignés - n'y a-t-il pas pourtant matière à soulèvement? Et, parallèlement, ne suis-je pas complice, ne cache-je pas moi aussi mes propres cadavres - au moins complice d'être tenté par le retrait du monde? Je dois être blâmé d'avoir jugé révolue la lutte politique, de m'en être volontairement écarté, d'avoir été un optimiste raisonnable, par exemple d'avoir cru comme tout le monde que la transparence et les technologies de la communication résoudraient ces problèmes, atténueraient la mauvaiseté du monde - en prend-on vraiment le chemin? Mais je ne veux pas être désenchanté. Je n'ai pas renoncé en vain au chemin tracé par le poète. Je dois agir!

mardi 14 mai 2013

Kunsthistorisches Museum

En bons Français élevés dans la religion de la langue, nous rions souvent de la Belgique et de son inextricable conflit linguistique, y voyant la cause (plutôt que la conséquence) du délabrement du pays. Nous oublions pourtant qu'un des plus prestigieux empires de l'histoire était bilingue, comme le rappelle cette étrange stèle (?) venue d'Alexandrie - qui m'a rappelé les plaques de rue bruxelloises, leurs délicieuses approximations...
Il ne semble pas, d'ailleurs, que la cohabitation des deux langues dans l'Empire romain ait vraiment posé de problème (ce n'est en tout cas pas un point sur lequel mes professeurs d'histoire du Bas Empire s'étaient appesantis); finalement, le schisme entre le monde grec et le monde latin n'interviendra que mille ans plus tard, à la faveur d'accidents historiques (n'en déplaise aux amateurs de géopolitique et de "tendances lourdes" - quelle fumisterie).


PS: autre exemple dans Jean (19 20): "Cet écriteau, beaucoup de Juifs le lurent, car le lieu où Jésus fut mis en croix était proche de la ville, et c'était écrit en hébreu, en latin et en grec"

samedi 4 mai 2013

Phares et écueils

Pour continuer dans la taxinomie, cette mocheté rencontrée en cours du soir, un rare spécimen de la femme qui travaille à se faire laide: restes de dreadlocks mal coupées, t-shirt informe, et évidemment des sabots en plastique (des "crocs": je vois enfin qui achète ces horreurs!). Comment peut-on vouloir à ce point éloigner le désir, s'en
préserver fermement? pensai-je, en admettant presque simultanément que je faisais sans doute de même, secrètement et avec moins de constance, qu'il y avait un certain confort à ne pas être sollicité...
Bien plus propres sur eux - mais pour autant plus fiables? - cet étonnant dîner de banquiers, entamé par de joyeux toasts, de plaisantes déclarations, pour s'achever en constats tristes (et rebattus) sur le déclin du monde. Comme je connais bien ces banquiers dont le métier est d'être optimiste, mais dont le discours est invariablement pessimiste - déformation professionnelle qui consiste à chercher en tout le moindre défaut, afin de pouvoir exiger un taux plus élevé, de rogner sur ses engagements. Cette pensée m'a fait l'effet d'une évidence, en particulier pour la compréhension de ma propre enfance. Comment croître dans ces conditions?
Et enfin, la rencontre du plus parfait modèle de l'énarque, à la diction impeccable, à la barbe taillée au micron près, aux vêtements soignés (quel monde par rapport à mon premier exemple!), et suffisamment subtil pour ne pas sembler prétentieux. Ce n'est pas tant son intelligence qui m'a surpris (même si elle doit être très supérieure), mais sa maîtrise sereine du corps et du langage, bien loin de mes approximations en toutes choses! Je me suis senti terriblement inférieur (sentiment que même mes riches amis banquiers n'avaient pas provoqué).
Où devraient aller mes préférences? L'adage dit: "qui se ressemble s'assemble" - mais que ferais-je de mon semblable? N'y a-t-il pas plutôt dans mon désir comme le regret de ce qui ne sera pas*, dans chaque dos tourné l'espoir de ce qui aurait pu être, de ce que j'aurais pu être? Della Rovere ne m'avait-elle pas tenu exactement le même discours, au tout début de notre relation?