lundi 24 février 2014

Ouroboros (2)

Oui, il doit y avoir un moment où il vaut mieux cesser de considérer le livre comme un projet, ne plus chercher à le rendre conforme à ses plus grands rêves, le jeter du haut de la falaise en espérant qu'il "volera de ses propres ailes" et, sans le regarder s'éloigner, passer à autre chose.
Toutes ces rageuses ratures et ces relectures structurelles n'apportent sans doute plus grand-chose à ce que j'ai entrepris, l'alourdissent même peut-être, et comme la toile du malheureux Frenhofer on n'y verra, sans garantie qu'il y eût jamais un chef d’œuvre en dessous, "que des couleurs confusément amassées et contenues par une multitude de lignes bizarres qui forment une muraille de peinture."

samedi 22 février 2014

Ouroboros

Repensant aux maximes de mon adolescence, celles du poète Eclo, celles de Meyr*, et toutes celles des grands auteurs, je me rends compte que je n'ai rien découvert qui ne m'ait été transmis. Comme j'aurais mieux fait de lire, de voir, de vivre davantage plutôt que de me replier sur moi dans le bruit frêle, maladroit du partage entre l'éloignement et l'atteinte* (me revient en mémoire cet été à Istanbul où au lieu de m'aventurer dans la ville je me suis enfermé, certes sur la plus belle terrasse du monde, pour rédiger poussivement le "chef d’œuvre inconnu"). Je voulais être "de moi même la matière de mon livre"*, mais à moins d'imiter le fameux "serpent qui se mord la queue" nous ne pouvons nous nourrir correctement que des autres.
De même, je me rend compte du rôle essentiel que pourrait jouer un éditeur, un correcteur, ou n'importe quelle tierce personne. Je ne sais pas m'arrêter, j'ignore si je suis trop obscur ou au contraire trop explicite, ni si tout cela en vaut la peine.
"On n'écrit pas à deux", avais-je repris autrefois pour justifier mon isolement dans ces brèves; cela reste vrai peut-être, pour ce qui concerne l'écriture inspirée et l'idée (mais je n'en suis plus à là). Le produit fini nécessite un contrôleur. Autrement, tous ces efforts auront été vains et vaniteux 

Je pense aussi à un blog à destination de mes "proches", quelques chose de plus masqué sous l'apparence de la vérité, quelque chose où je me donnerais moins, que je pourrais leur montrer dans l'espoir qu'ils m'aideront à m'améliorer, une sorte d'abécédaire que je pourrais tendre au nouveau venu afin qu'il me connaisse un peu mieux, et qui serait construit sur les fondations enfouies de ces brèves.

jeudi 13 février 2014

Mes yeux sont trop lourds de t’attendre

Repensant à l'allemande*, cette mélancolie de mesurer à quel point, pour la plupart de ceux à qui nous étions prêts à accorder les premiers rôles dans notre existence, nous n'aurons jamais été que des figurants. Nous voulions leur offrir "un pilier où reposer leur tête lasse, une obscurité pour reposer leurs yeux"*, et nous sommes demeurés des personnages qui se meuvent en arrière-plan, remplissant un instant le champ et fournissant l'occasion de détails amusants ou d'un peu de réalisme, mais dont l'absence n'aurait même pas été constatée.


PS: rapprochement (sans doute trop facile) avec cela.

mercredi 12 février 2014

Résonnance

Une amie parisienne me parle d'un ami en poste dans un pays oriental, qui lui aurait expliqué être devenu diplomate quand il a compris qu'il ne serait jamais Proust.

mercredi 5 février 2014

Il n'y a rien

Profitant d'une soirée solitaire, après les étapes usuelles, j'ai rouvert le dossier que m'avait donné mon père il y a quelques années et auquel, par mépris ou par déception, je n'avais pas prêté attention depuis. Il contient sur plusieurs centaines de pages des sortes de "brèves" accompagnées de citations et de dessins, que dans ma grandeur d'âme je ne vais pas citer ici mais que je vais résumer en un mot: misanthropie.
"Tes jugements te jugent", avait coutume de dire Meyr, et celui qui comprend cette phrase a déjà fait d'énormes progrès dans la vie. Je m'arrêterai là pour la critique des écrits paternels.

Ce qu'il y a de plus désespérant, et qui confirme ce que j'ai mentionné ailleurs, est de constater à quel point nous n'avons eu aucune apparence d'impact sur lui, ni en bien, ni en mal: pas une observation, pas une mention fugace, même pas en arrière-plan, rien! Il n'y a rien! C'est comme si nous n'avions jamais existé.

lundi 3 février 2014

Un regret

En fermant les Origines* d'Amin Maalouf, et en ouvrant un livre basé sur la correspondance de Lawrence Durrell*, je me rends compte qu'écrire sur la génération de nos grands-parents est somme toute chose aisée: l'habitude du courrier a laissé d'eux des informations dispersées mais nombreuses, détaillées. Que laisserons-nous? Que laisseront nos parents? Les longues conversations téléphoniques se sont évanouies: personne ne lira nos courriels trop nombreux et trop utilitaires. Malgré notre bavardage constant, nous demeurerons silencieux pour l'historien du futur... 
Si je pense à mon père par exemple, je n'aurai jamais d'autres sources que ces fameuses pages où il ne dit absolument rien sur lui - et quelques uns de mes souvenirs "à charge" (notamment l'épisode du cadeau jeté à la poubelle, qu'il faudra que je raconte un jour). Je n'ai jamais vu mes parents écrire de lettres, sauf à la nouvelle année ou en de rares occasions, mariages ou enterrements, pour exprimer quelques banalités peu informatives. Je ne saurai jamais ce qu'ils ont pensé, ni ce qu'ils ont vraiment vécu (ils ne le savent plus eux-mêmes, peut-être, et peut-être est-ce mieux ainsi?).

dimanche 2 février 2014

Wolvendael

Ce tour du vaste parc, dans une magnifique lumière d'hiver, m'a rappelé l'autre "vallée aux loups", l'ancien domaine de Chateaubriand, dont la visite guidée quand j'avais dix ans (?) a peut-être influencé mes rêves d'alors (quoique j'en dise ailleurs, je dois ici "honorer" mes parents de m'avoir traîné dans ce genre d’endroits, même si je n'y comprenais pas grand-chose).
Je songeais au travail d'écriture que je suis en train de finir, et qui n'a plus rien de la plaisante inspiration qui émane de la Vallée-aux-loups: je passe mon temps à relire, à réécrire, à me désoler. Comment ai-je pu m'en satisfaire à l'époque, ou seulement imaginer que ma vie allait en être bouleversée? Je perçois si distinctement mes limites et mes insuffisances.

*

Dernièrement, après avoir passé une heure à interchanger les mots d'une phrase, je me suis souvenu d'un épisode de Mister T (j'avais dû le voir en cachette, car si l'on m'autorisait à lire Atala, on ne me permettait la télévision que parcimonieusement...), dans lequel une femme qui jouait aux mots croisés se lève soudain, sort de chez elle, traverse la ville, et va jusqu'à la Statue de la liberté. On comprend qu'elle a buté sur un mot et que, par conséquent, plus rien dans sa vie ne mérite d'être vécu. Heureusement, Mister T retrouve le mot, parvient à la rejoindre, à l'attraper par le bras au moment où elle saute; il lui hurle le mot manquant!

C'était il y a si longtemps! Je ne comprends même pas comment je peux encore me souvenir de cet épisode... Peut-être était-ce la première fois que j'entendais parler de suicide? Ou peut-être le motif de ce suicide m'avait-il paru particulièrement inexplicable, extraordinaire, mémorable?

*

Le télescopage de ces deux souvenirs n'est sans doute pas fortuit, ce sont les deux aspects de la même chose: dans le téléfilm, le désespoir profond de la lutte contre la meute des mots, et, dans le repaire très fantasmé de Chateaubriand, la solitaire contemplation des territoires précairement dominés.