dimanche 2 février 2014

Wolvendael

Ce tour du vaste parc, dans une magnifique lumière d'hiver, m'a rappelé l'autre "vallée aux loups", l'ancien domaine de Chateaubriand, dont la visite guidée quand j'avais dix ans (?) a peut-être influencé mes rêves d'alors (quoique j'en dise ailleurs, je dois ici "honorer" mes parents de m'avoir traîné dans ce genre d’endroits, même si je n'y comprenais pas grand-chose).
Je songeais au travail d'écriture que je suis en train de finir, et qui n'a plus rien de la plaisante inspiration qui émane de la Vallée-aux-loups: je passe mon temps à relire, à réécrire, à me désoler. Comment ai-je pu m'en satisfaire à l'époque, ou seulement imaginer que ma vie allait en être bouleversée? Je perçois si distinctement mes limites et mes insuffisances.

*

Dernièrement, après avoir passé une heure à interchanger les mots d'une phrase, je me suis souvenu d'un épisode de Mister T (j'avais dû le voir en cachette, car si l'on m'autorisait à lire Atala, on ne me permettait la télévision que parcimonieusement...), dans lequel une femme qui jouait aux mots croisés se lève soudain, sort de chez elle, traverse la ville, et va jusqu'à la Statue de la liberté. On comprend qu'elle a buté sur un mot et que, par conséquent, plus rien dans sa vie ne mérite d'être vécu. Heureusement, Mister T retrouve le mot, parvient à la rejoindre, à l'attraper par le bras au moment où elle saute; il lui hurle le mot manquant!

C'était il y a si longtemps! Je ne comprends même pas comment je peux encore me souvenir de cet épisode... Peut-être était-ce la première fois que j'entendais parler de suicide? Ou peut-être le motif de ce suicide m'avait-il paru particulièrement inexplicable, extraordinaire, mémorable?

*

Le télescopage de ces deux souvenirs n'est sans doute pas fortuit, ce sont les deux aspects de la même chose: dans le téléfilm, le désespoir profond de la lutte contre la meute des mots, et, dans le repaire très fantasmé de Chateaubriand, la solitaire contemplation des territoires précairement dominés.