mercredi 5 septembre 2012

Mille ans après

A lire quelques ouvrages déjà anciens sur les croisades*, on ne peut s'empêcher de juger avec sévérité et quelques regrets les péripéties qui ont entraîné la fin de la présence "franque" en Orient, la succession des épisodes douloureux et des occasions manquées, les dissensions entre barons latins, le malheureux règne de Baudouin IV, la duplicité des cités italiennes, l'impossible réconciliation avec la chrétienté grecque, l'abandon par l'Occident de ces expéditions coûteuses et inutiles. Comme si l'histoire pouvait être recommencée, certaines erreurs évitées: par exemple, si les croisades populaires ne s'étaient pas perdues dans les steppes d'Anatolie, et avaient permis de fournir aux États latins la quantité d'hommes qu'il aurait fallu pour se maintenir - si les divisions entre les potentats musulmans de Syrie et d’Égypte avaient pu être entretenues - si l'invasion mongole n'avait pas échoué face aux Mamelouks - etc.
Tout cela est absurde. Je ne suis certes pas un partisan des théories sur les mouvements inéluctables, les longues échéances... mais je serais prêt à faire une exception pour les croisades, dont les succès initiaux ont surpris à l’époque et continuent à nous surprendre. Le "miracle" est davantage que cette conquête ait duré aussi longtemps, pour des destinations si lointaines, avec si peu d'hommes!
Après la prise de Saint-Jean d'Acre, les contemporains ont très bien compris qu'il n'y avait plus lieu de continuer, qu'il valait mieux prospérer par le commerce: il suffit de considérer la fin de non-recevoir que les Vénitiens ont adressée au roi de Chypre Pierre Ier, quand celui-ci a voulu reprendre la conquête de l’Égypte.*
De plus, si l'on se réfère aux motifs juridiques initiaux, il n'y a sans doute aucune raison de considérer les croisades comme un échec. Car il ne s'agissait pas (officiellement) de nourrir les ambitions territoriales de barons cupides, des Bohémond, Tancrède, Raymond de Saint-Gilles, mais de permettre le libre passage des pèlerins chrétiens à Jérusalem. Si l'on s'arrête à cet objectif, les croisades ont suffisamment marqué les esprits pour que ce libre passage ait depuis presque mille ans toujours été grosso modo préservé; plus jamais n'ont eu lieu les destructions commises par un Al Hâkim. Pour le reste, notre perception des événements évolue au gré de nos relations avec le monde musulman et de notre propre échelle de valeurs, passant d'un souvenir glorieux à une action un peu honteuse, dont les motifs religieux nous paraissent douteux, et les modalités, cruelles.