jeudi 28 mars 2013

Je-m'en-foutisme (2)

Et finalement, il y a une limite au "je-m'en-foutisme" (voilà qui est plutôt rassurant). Un nouveau plan qui anticipe les changements à venir dans la prochaine Union bancaire vient d'être adopté, avec un bank run relativement limité (sans doute grâce aux restrictions sur la circulation des capitaux). Est-ce une fin ou un début? 
Il faudrait que Chypre renonce à ses activités financières qui lui permettaient de survivre, se réinvente un destin, qui passera sans doute par une meilleure intégration régionale plutôt que de compter sur la Russie désormais méfiante, la Grande-Bretagne, la Grèce ruinée, ou l'Union européenne un peu lointaine de ses côtes. Il faudrait commencer par travailler à la réunification de l'île (faible probabilité, hélas), de meilleures relations avec le Proche-Orient, avec l’Égypte et même (et surtout) avec la Turquie. Cela existe déjà dans une certaine mesure (par exemple, l'industrie du divorce à Chypre pour les couples libanais - un fait frappant!). A cet égard, les "fabuleuses" ressources gazières sont plus un mal qu'un bien, car elles vont entretenir le mirage que Chypre peut s'enrichir dans un isolement complet, en demeurant le cul-de-sac de l'Europe.
Pour l'euro, il faudra juger sur les résultats à moyen terme. Pour l'instant, de nouveau, nous avons cédé devant l'énorme épouvantail de la sortie de l'euro (une peur plus politique qu'économique, sans doute), prêts à avancer des milliards (en pure perte probablement) pour retarder l'apocalypse jusqu'au prochain drame.

Il grandira car il est espagnol

La découverte inopinée de l'ouverture de la Périchole, conjuguée au bon avancement de certains projets et à l'ambiance studieuse instaurée par Della Rovere (l'un étant la conséquence de l'autre), a joyeusement illuminé cette matinée. C'est l'air qui accompagne les manœuvres vaines de la prostituée dans Ludwig, et que j'avais cherché pendant des années infructueusement (malgré l'existence des inutiles Soundhound et Shazam). Comme il me tarde d'apprendre à le jouer!

Surtout, cela me rappelle une remarque faite rapidement par mon père sur son enfance (une époque sur laquelle il s'épanchait rarement, préférant nous narrer des souvenirs très imaginaires de ses vingt ans, pseudo-voyages autour du monde, proximité avec de grands écrivains*), où il racontait que son père l’emmenait souvent voir des opérettes à Paris, et que c'est une des raisons pour lesquelles il connaissait par cœur tous ces airs qui nous semblaient un peu ridicules ("il grandira car il est espagnol"*, "je suis brésilien du Brésil"*, etc.). J'ignore quel blocage l'a empêché d'être plus aimable envers moi, de m'emmener par exemple au cinéma, ou n'importe où, à défaut de théâtre parisien comme son père le faisait. Mon seul souvenir de cet ordre est d'avoir failli être privé d'aller avec lui voir L'avare joué par des élèves du collège voisin parce que j'avais prononcé un gros mot (le mot "connard", mais pas à son adresse)... J'ignore si je lui en veux; je crois, au fond, que toute son attitude a été de limiter la nuisance, pourtant inévitable et sans doute pesante, que nous aurions pu constituer - en se défaussant sur des préceptes "d'éducation" abstraits et absurdes. La paternité n'a pas revêtu de grande importance pour lui, n'a été ni un objectif, ni encore moins un accomplissement, mais jamais qu'un accident dans une vie ennuyeuse et décousue.
¡Stupide évocation - car désormais mon plaisir d'écouter ces airs d'Offenbach est gâché, tout comme cette journée qui avait débuté si merveilleusement, tout comme le reste peut-être!

mardi 19 mars 2013

Je-m’en-foutisme

La proposition de taxer les comptes d'épargne à Chypre n'était pas si mauvaise qu'elle pouvait le sembler à première vue, surtout compte tenu des anciens blanchiments dans paradis fiscal chypriote et des rendements très supérieurs offerts par les banques ces dernières années (quel scandale!). Il fallait certes sans doute en préserver les petits épargnants, bien qu'ils aient été partiellement complices du système. Pour le reste, il n'y a pas de raison que les contribuables chypriotes (et encore moins les contribuables européens) paient pour sauver ces banques - je ne comprends pas, d'ailleurs, pourquoi l'extrême gauche ne salue pas cette soudaine taxation du capital, d'autant plus quand ce capital semble en grande partie malhonnête.
Maintenant que le plan est refusé, il semble que nous avons atteint le point de non retour, le Rubicon que nous n'avions jamais osé franchir même dans le cas de la Grèce (mais le problème était différent): "hands off Cyprus!" - quel slogan ridicule, bien digne de cette inadmissible paranoïa levantine que je commence vraiment à haïr (me demandant si le vrai Levant n'est pas à chercher ailleurs): fantasme de ressources gazières mirifiques que les Allemands convoiteraient, improbable plan B, espoirs grotesques et coûteux d'un soutien russe, imminence d'une seconde invasion turque... "Hands off Cyprus!" - ils ne croient pas si bien dire, car nous n'aurons effectivement plus d'autre choix que d'enlever nos mains de Chypre, de laisser l’État s'écrouler avec ses banques et faire défaut, puis d'observer en temps réel, mais sur une petite échelle, l'accomplissement d'un scenario catastrophe tant redouté.
Le mal est sans doute déjà fait, car je ne vois pas comment un pays qui gèle des avoirs pendant plus de cinq jours peut restaurer la confiance des épargnants (donc autant procéder à cette taxe avant que tous les capitaux ne s’enfuient). Mais je comprends la critique visant à dire que la confiance est rompue (si l'épargne en principe sans risque est maintenant menacée), que la "solution" va créer ce bank run contre lequel tous les européens luttent depuis cinq ans. Et si j'étais chypriote avec des dépôts supérieurs à 100 000€ (si seulement!), je serais sans doute furieux, avec l'impression de m'être fait scandaleusement duper (par les banques, par l’État, par l'Eurogroupe et le reste du monde). Mais irais-je pour autant manifester avec autant d’indécence? N'y a-t-il pas un peu de cinéma dans toutes ces manifestations d'épargnants? N'est-ce pas, après tout, un moindre mal - pour sauver le reste de l'épargne? Et avons-nous seulement le choix?
Quant au rejet du plan par le Parlement (y compris par le parti au pouvoir!), je n'y vois que le signe déjà dénoncé d'un complet jusqu’au-boutisme (je-m’en-foutisme?), l'apocalypse exerçant désormais une irrésistible séduction. Les manifestants actuels ne comprennent pas qu'ils paieront cher les refus d'aujourd'hui, bien plus cher que le maigre pourcentage qui leur est exigé. Ni qu'ils devront rendre des comptes, sans doute dans la violence, aux manifestants de demain, aux vrais indignés qui n'auront plus rien à perdre. "Que Dieu nous garde!"*

samedi 9 mars 2013

Moesta et errabunda

Minuit, hier. Au moment de passer la clé dans la serrure, j'ai été soudain pris par le tentation de ne pas rentrer chez moi, de marcher sans but, dans une de ces longues pérégrinations qui ont marqué mon été. Et je me suis souvenu que depuis toujours j'ai détesté le mois de mars, quand avec l'air doux renaît le regret d'une vie plus vagabonde, loin du confort de l'hiver.
J'aurais arpenté les rues défoncées de la ville, ses quartiers déserts - le long d'autoroutes urbaines, fleuve absent aux reflets lumineux. Puis je me serais arrêté dans un de ses bars à l'éclairage trop vif, où j'aurais fait tournoyer mes questions dans le tourbillon d'une première bière, puis d'une autre, ailleurs.
Par exemple (pensant aux désirs de Della Rovere), j'aurais pu me demander si, en plus du désir physique (quelles illusions pourrais-je de toute façon former à ce sujet?), n'allait pas s'effacer aussi le désir pourtant plus puissant d'une relation sereine, d'un havre où se reposer de sa solitude. Qu'attend-elle de moi?
Gravissant l'escalier, je me suis dit que, finalement, ce blog que je n'avais pas pris très au sérieux, les divers projets, la poésie de Paul Toussaint, avaient bien rempli leur mission pour moi, à défaut d'être utiles à quelqu'un d'autre. S'ils m'ont certes englouti dans l'épaisseur d'une seconde vie, dans la culpabilité perpétuelle de n'en pas faire assez, ils m'ont aussi aidé à passer les portes, à passer les saisons - ne devrais-je pas m'en réjouir? 
Lentement, les envies de vagabondages se sont éteintes, remplacées par quelques mots discrets.

lundi 4 mars 2013

Profil facebook

Parfaite illustration des fameux "hypernomades" qu'annonçait Jacques Attali (dans une interview qui a façonné ma vision du monde futur - c'est-à-dire désormais du monde actuel), cet ami lointain dont je consultais par curiosité le profil facebook. Il travaille comme "directeur" (?) dans une société de production télévisuelle  (sans doute encore une de ces entreprises où tout le monde est prétendument directeur ou vice-président); il voyage partout, pour le métier et pour le plaisir, en confondant manifestement un peu les deux, dans une atmosphère de fête perpétuelle. Il semble connu de la terre entière.
Il me suffit de recenser ses derniers déplacements: Beyrouth, Istanbul, Dubaï, New-York, Key West, la côte d'Azur, Copenhague, le pays de Galles (un bon choix!), Berlin, les îles Lofoten, la Malaisie... "Au sommet de la pyramide, on trouve les «hypernomades», capables d'utiliser librement et sans intervention étatique les technologies pour créer et manipuler l'information, les seuls à voyager physiquement sans cesse d'un continent à l'autre (...). Le virtuel deviendra la norme de la classe moyenne, et le réel le signe du luxe. Mais c'est déjà très largement le cas."

Du côté du fils fidèle

Anecdote du matin: après la perte d'une clé, sa redécouverte inespérée m'a rempli d'une joie sereine absolument extraordinaire, de gratitude envers l'existence et la société. Comme j'aurais été mieux loti, pourtant, si la clé n'avait pas en premier lieu disparu, m'épargnant quelques inquiétudes nocturnes! Cet épisode m'a immédiatement fait songer à la parabole du fils prodigue*, à la joie éprouvée par le père: "il fallait bien festoyer et se réjouir, puisque ton frère que voilà était mort et il est revenu à la vie; il était perdu et il est retrouvé!"
Peut-être un jour arriverai-je à comprendre comme il faut cette parabole? Depuis l'enfance, j'y ai toujours vu le récit d'une affreuse injustice, car bien sûr je me suis toujours mis du côté du fils fidèle (comment pourrait-il en être autrement?): "voilà tant d'années que je te sers, sans avoir jamais transgressé un seul de tes ordres, et jamais tu ne m'as donné un chevreau, à moi, pour festoyer avec mes amis." Et j'y ai toujours vu une invitation au péché, une invitation à mener une vie libre et sans aucune contrainte morale, puisqu'il suffit de se repentir pour obtenir ce que les vertueux n'obtiendront jamais!
Comme cela est incompréhensible, scandaleux même! surtout pour notre époque éprise de "responsabilisation" plus de que de miséricorde. J'ignore si les bons croyants l'écoutent réellement, et, s'ils le font, ce qu'ils peuvent bien en retenir. "Il y a plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repentit que pour quatre-vingt-dix-neuf justes, qui n'ont pas besoin de repentir"*: de qui se moque-t-on? 
Pourtant cette parole est sans doute ce qu'il peut y avoir de plus authentique, la vraie parole d'un fils de Dieu: un simple fondateur d’Église aurait cherché à imposer une loi rigoureuse, à l'exemple de Moïse, et un évangéliste n'aurait jamais improvisé d'aussi étranges et inquiétants messages (je ne parle même pas de la parabole suivante, l'intendant infidèle*, où "le maître loua cet intendant malhonnête d'avoir agi de façon avisée"!).

Festivus festivus.

Alors que je ne cherchais auparavant à jouer que des musiques graves, déchirantes, en harmonie avec la poésie de Paul Toussaint*, des chansons de Tom Waits*, des nocturnes et autres marches funèbres, je ne trouve ces derniers temps dans mes listes et mes partitions que des adaptations de la Veuve joyeuse, de la Chauve-souris*, des airs américains pleins de candeur. De même, la reprise de quelques travaux d'écriture m'a convaincu du bien-fondé d'une approche fondée sur "une blague à chaque page". Dois-je m'en féliciter? Je crois, en tout cas, que l'on peut en tirer une maxime personnelle: je ne cherche plus seulement à me distraire, je veux par dessus tout m'amuser (une maxime bien en phase avec notre époque, pour une fois, même si les historiens du futur soutiendront le contraire).