jeudi 18 juillet 2013

Mauvaise fréquentation

Un homme aimerait demander à la femme qui a bien voulu de lui s'il la rend heureuse; il aimerait obtenir d'elle l’assurance, le brevet éternellement opposable, qu'il ne lui fait pas perdre ses plus belles années en sa compagnie. N'est-ce pas l'honneur de tout homme sensible que d'être saisi par ce doute? Qui oserait affirmer que la femme qui accepte de partager notre vie ne pourrait la partager de meilleure façon, avec un autre?
Pourtant, il n'en a jamais rien lu dans la littérature, ni vu dans les films, où ce sentiment de temps gaspillé n'est jamais évoqué que rétrospectivement, par celui qui croit s'être fait gruger, quand un des époux demande le divorce; jamais personne ne semble se remettre en cause ouvertement ni secrètement pendant la relation; et dans tous ces #@&$@ de mariages auxquels il a été convié, jamais la question n'a été effleurée: "acceptez-vous de prendre pour épouse" est finalement une question facile, "acceptez-vous de lui imposer votre personne" en serait une autrement plus délicate!
Nous sommes comme ces politiciens persuadés de leur utilité publique, et que jamais ne perturbe l'éventualité que leur pays, leur ville, leur région auraient pu se porter pareillement, voire mieux, en leur absence. ¡Comme la vie politique est pourtant plus aisée, avec le réconfort d'incessants sondages, avec la possibilité de remettre son bilan en jeu, à chaque échéance électorale - là où, dans la vie amoureuse, il nous faut nous contenter de trop maigres indices, un sourire évanescent, une caresse que nous n'avons pas quémandée!...

Il observe les détails de sa vie quotidienne.
Par exemple, la confiance absolue et aveugle qu'elle lui témoigne lui semblait jusqu'alors un élément positif - alors qu'il y aurait fort à redire sur cette absence de curiosité... L'amour n'est-il pas censé (lui murmure la sagesse des siècles) aller au plus profond de toute chose, jusque dans la jalousie, jusqu'à la connaissance aiguë de l'intime - source de douleurs et de bonheurs inégalés? Lui fait-il vivre tout cela? Elle ne connaît rien de lui: qui est l'étrange personnage qu'elle croit aimer? par qui se laisse-t-elle pénétrer?
Cette pensée soudain le rassure. Les échecs qu'il a connus dans cette relation comme dans d'autres lui paraissent plus tolérables, lui paraissent ceux d'un autre que lui, d'une moitié tronquée, fausse, d'une personne imaginaire sous des dehors réels. Ne provenaient-ils pas, finalement, d'un irrémédiable malentendu?