samedi 29 novembre 2014

La figure du dehors (2)

Sa critique incessante et justifiée de l'esprit français: "aux cercles de géographie, ils préfèrent les mots croisés. Il en est ainsi depuis trois siècles." Autre exemple: notre volonté de 'conclure' (qu'il regrette chez Saint-John Perse), d'empaqueter le texte par une chute magistrale - comme s'il était impossible de laisser la moindre ouverture, un vide fécond. Nous nous gargarisons de mots et de formes parfaites, artisans luxueux mais peu inspirés. Il est à espérer que le bouturage de la langue française en Afrique ragaillardira notre imaginaire, même si c'est une culture qui nous est étrangère (et qui n'a jamais été une réalité bien tangible dans la culture européenne (à la différence de l'Asie). Au moins partagerons nous les mots et les phrases, à défaut d'autres richesses!

*

J'ai déjà parlé de ce sujet, et à la réflexion je me demande s'il n'en est pas des prophètes de la francophonie comme des vaincus de 1940 qui rêvaient encore à une "force noire" surgie de lointaines terres. Pour l'instant, on en est plus au fantasme qu'à la puissance.

vendredi 28 novembre 2014

Corée du nord

Difficile de savoir quelle est la part de marketing dans la décision de Sony de ne pas diffuser son film The Interview. Comme si la Corée du nord pouvait sérieusement provoquer des attentats aux États-Unis (?). C'est douteux.
Mais les nord-coréens ont certainement eu peur d'un film qui, s'y j'en crois la bande annonce, les couvre de ridicule, leur fait perdre toute crédibilité. C'est ainsi qu'il faut traiter ces dictatures, qu'il fait traiter les islamistes, et tous les autres! Ce n'est pas autrement que l'on découragera les djihadistes en herbe. Le scénario de leur obscénité s'expose sans vergogne chaque nouveau jour. Mais qui osera prendre un tel risque?

La figure du dehors (1)

Fascinant livre de Kenneth White*, lu en quelques allers-retours... On lit des ouvrages sur la poésie comme on se replonge dans une eau délicieusement fraîche, dans les rêves de l'adolescence. La grande poésie de Saint-John Perse, la "lettre du voyant", la vraie vie qui est ailleurs, etc.
Ce que c'est
qui demeure ici
je ne le sais
mais mon cœur
est plein de reconnaissance
et j'ai des larmes aux yeux.
(Saigyo)

J'avais cru à cette figure du poète ("trouver un espace vital pour le plus grand bien de tous"), et non pas juste un fou, ou quelqu'un qui exprime "un sentiment personnel, une jolie façon de dire"... J'en étais très loin, mais au moins l'avais-je dans mon azimut. Maintenant, je l'ai perdu de vue. Je ne sais plus si tout cela n'était pas une illusion, un feu d'artifice de mots qui masquaient la "vraie vie"; je me demande si Rimbaud n'a pas inconsidérément tué la poésie. Qui peut encore écrire des vers après lui? Qui peut encore peindre après Van Gogh? La poésie comme la peinture ne sont plus des faits majeurs du monde contemporain - non qu'il n'y ait aucun artiste de valeur aujourd'hui, mais qui les lit, qui les regarde? Leur art ne parle plus à personne. "La poésie n'est pas un élément moteur de notre monde et elle est socialement, culturellement inopérante."
Il y a de bons plasticiens et des écrivains talentueux, certes, mais ce n'est plus de la poésie et à peine de la peinture. Sans doute existe-t-il quelques ermites comme Kenneth Withe, comme le peintre Berlinghieri dont il faudra raconter l'histoire. Des poètes hyperboréens de haute stature:
"Comme un vent violent, comme une baleine blanche, comme un ange... chaque poète exprime l’expérience originelle avec les symboles qui lui sont particuliers, la densité charnelle et spirituelle de son langage propre, mais l'expérience demeure fondamentale pour tous. C'est le départ du Bateau ivre: "et dès lors, je me suis baigné dans le Poème / De la Mer, infusé d'astres, et lactescent" - le premier élan de la potentialité, le sujet naissant à lui-même en tant que centre d'énergie, et l'arrivée sur un sol ontologiquement plus riche. "Un jour j'ai vu tes yeux, ô vie, et je me sentais tomber dans un abîme sans fond", dit de son côté Zarathoustra."

dimanche 16 novembre 2014

Une sorte de hongrois...

Chercher à susciter le désir (comme si j'ignorais ce qu'il en est*), chercher à susciter le désir maternel*, provoquer la vie ensemble*, toutes ces choses, tous mes amis semblent les vivre sans même qu'il y ait le moindre questionnement... Ils s'évertuent à me donner une image parfaite de leur vie de couple (ou est-ce la réalité?), en exhibent les fruits, et s'ils se plaignent c'est uniquement de faits extérieurs, problèmes d'argent, situation politique, etc. Il faut creuser longtemps pour entrapercevoir ce qu'il y a en dessous,  traces archéologiques peu fiables, dispersées dans l'air à peine découvertes. Je cherche une réponse dans les livres, mais je ne trouve rien - maintenant qu'il faut parler de tsunamis*, de drames haïtiens*, de pervers narcissiques*, bref, de sujets un peu exceptionnels, pour espérer une publication. Les petites émotions et frustrations du quotidien, tout le monde s'en fiche.
J'ai souvent l'impression d'être un langage isolé surgi de steppes sauvages, une sorte de hongrois sans aucune parentèle, incapable de me faire comprendre (ce ne serait pas un grand drame), incapable surtout de trouver la moindre correspondance entre les mots des autres et ce que je vis. J'avance, je piétine dans ce monde bavard mais inintelligible, avec mes silences.

mardi 11 novembre 2014

Festivus... (2)

L'évocation de l'Homo festivus m'a rappelé l'avant-dernier poème de Paul Toussaint*, recopié ci-dessous.
Peu convaincu par le forme "non poétique" de son texte, il avait écrit "à prendre ou à laisser" le long de la feuille. Je lui avais recommandé de garder ce sous-titre qui pouvait s'entendre comme l'étiquette à coller sur l'homo festivus et sur ce poème sans valeur, auquel je n'aurais plus jamais pensé s'il n'avait été précisément son avant-dernier... C'était chercher, dans le message d'un vieillard dont la mort approche, des cohérences cachées au milieu d'incohérences, un testament révélé depuis l'autre côté du seuil. C'était également constater l'échec de l'homme et du poète, à l'époque où s'achevait un des "cycles" de ma vie - oui, encore un cycle semblable à celui qui s'achève ces mois-ci - destructions, distractions - et je me demande où je trouve la force stupide de croire aux recommencements.

*

Festivus festivus. 
(à prendre ou à laisser)

Il prend la vie telle qu’elle lui vient.
Les lois, il les crée à sa demande.
Les autres, distraction et satisfaction,
De vagues plaisirs, n’attendent rien d’autre de lui.

Il s’aventure depuis l’enfance dans ce va-et-vient,

D’où nul Dieu père tout puissant ne viendra le surprendre.
Et qu’il soit seul, ennuyé, sans passion,
Pauvre passage ! Pauvre message qu’il terre au fond de lui.

La vie lui offre ce qu’il faut de temps de joies de liens.

Et même la mort est lointaine et tendre…
Les autres, distractions et satisfactions,
De vagues désirs, attendent la même chose de lui…

Attendent tous la même chose que lui !

Festivus...

Je tombe sur un résumé du livre Chers Djihadistes* par Philippe Muray: "Il y a fort à parier que son djihadiste soit la figure ennemie, et contrariante, de l'Homo festivus." Certes... mais Philippe Muray a écrit ce livre en 2002; il avait sous les yeux les premiers djihadistes d'Al-Qaïda, mystérieux ingénieurs bien intégrés dans le monde, issus de familles riches, ou étudiants dans de brillantes universités, etc... La guerre en Syrie nous en fait désormais voir une nouvelle sorte, rejetons fragiles de nos sociétés, emportant comme seuls bagages dans l'avion d'Istanbul le "Coran pour les nuls" et leur smartphone pour poster des messages sur Facebook... On est loin de la grandeur religieuse. Et le nouveau djihadiste n'est pas "la figure contrariante de l'Homo festivus", il en est un des avatars les plus accomplis, séduit avec des arguments d'ordre "festivus" - le djihad devenant un moyen de s'accomplir dans le monde pour ceux que la société moderne avait condamnés à une oisiveté stérile, pour ceux qui ne participeront jamais aux "festivités" promises!

mercredi 5 novembre 2014

Dérèglements

Article sur la "grossesse nerveuse" de ces pères modernes impliqués dans la grossesse de leurs compagnes au point d'en subir les dérèglements hormonaux.
Mais j'ai mieux: un homme que fait une grossesse nerveuse "de substitution", sans que sa compagne ne soit enceinte, juste par désir de paternité frustré. On ne souligne pas assez le pouvoir absolu des femmes en matière de conception et l'angoisse profonde que cela peut provoquer chez les hommes contemporains devenus de stupides spectateurs impuissants. La nouvelle répartition des taches dans le foyer n'a peut-être pas uniquement sa cause dans le travail des femmes, mais pourrait aussi venir du désir des hommes de prouver une utilité désormais précaire dans le foyer. D'être autre chose qu'un gros bœuf qui regarde le train passer, tout juste bon à participer à la nourriture, à meubler le paysage.

mardi 4 novembre 2014

Sabordages

Nouvelle stupidité de David Cameron qui annonce vouloir se retirer de la Cour européenne des droits de l'homme*, ce que ni Erdoğan, ni Poutine n'avaient fait jusqu'ici. Tout ce qui porte le nom d'européen il voudrait l'exclure, et jusqu'aux hommes*...
On ne sait pas trop à quels intérêts privés pro américains (Murdoch?) ou américains (?) il cherche à se soumettre. Quoi qu'il en soit, l'histoire lui fera payer très cher d'avoir sabordé "l'idéal européen" pour quelques considérations à courte vue, de même qu'il a failli saborder son propre pays (!) en caressant le populisme de quelques politiciens écossais dans le sens du poil. On rêverait d'hommes d'État de haute stature, mais ce n'est plus guère possible malheureusement.


Et désormais, la question ne semble plus être si le Royaume-uni quittera l'Union, mais, plus grave encore, si l'Union pourra survivre à cet échec. Le Royaume-uni était certes depuis longtemps un perturbateur du projet, mais au moins était-il dans le projet. Ce n'est pas comme l'insignifiante suisse dont tout le monde peut se passer. Le Royaume-uni fait partie de l'Europe, de quoi ferait-il partie sinon? Et il fait partie de la civilisation européenne, bien sûr.
On rétorquera que l'Union et ses institutions ne représentent pas forcément l'Europe et sa civilisation. Mais c'est justement en cela que le projet européen est en train de réussir! Donner une conscience européenne aux peuples. Il est certes encore trop tôt pour que cette conscience se matérialise dans des institutions incontestées. Les Américains qui détestent Obama n'en appellent pas pour autant à la dissolution de Washington...


Dans le même ordre d'idées pessimistes, Jean-Claude Juncker* répète de façon maladroite que sa commission est celle "de la dernière chance" - sinon quoi? Si le projet échoue, l'Union deviendra un mythe puissant, un regret... Nos pays survivront, sans doute moins bien, feront de la convergence par défaut, se chamailleront inutilement. Et il reste à voir si cette Europe-là sera encore habitable pour nous.
Enfin, tous ceux qui critiquent le rôle de l'Allemagne seraient mieux inspirés de faire des propositions sérieuses, car en l'état actuel c'est le seul État à se battre pour la stabilité et l'unité européennes, non sans peine. Qu'a proposé la France, à part se gargariser de concepts creux comme "l'Europe politique", mentir systématiquement sur ses engagements, et perdre tous ses alliés en Europe?


PS: Qu'il soit permis de rêver à ce que pourrait apporter à l'Union un Royaume-uni pro-européen, avec sa prospérité, son savoir et son ouverture culturelle. Quel gâchis.