Fascinant livre de Kenneth White*, lu en quelques allers-retours... On lit des ouvrages sur la poésie comme on se replonge dans une eau délicieusement fraîche, dans les rêves de l'adolescence. La grande poésie de Saint-John Perse, la "lettre du voyant", la vraie vie qui est ailleurs, etc.
Ce que c'est
qui demeure ici
je ne le sais
mais mon cœur
est plein de reconnaissance
et j'ai des larmes aux yeux.
(Saigyo)
J'avais cru à cette figure du poète ("trouver un espace vital pour le plus grand bien de tous"), et non pas juste un fou, ou quelqu'un qui exprime "un sentiment personnel, une jolie façon de dire"... J'en étais très loin, mais au moins l'avais-je dans mon azimut. Maintenant, je l'ai perdu de vue. Je ne sais plus si tout cela n'était pas une illusion, un feu d'artifice de mots qui masquaient la "vraie vie"; je me demande si Rimbaud n'a pas inconsidérément tué la poésie. Qui peut encore écrire des vers après lui? Qui peut encore peindre après Van Gogh? La poésie comme la peinture ne sont plus des faits majeurs du monde contemporain - non qu'il n'y ait aucun artiste de valeur aujourd'hui, mais qui les lit, qui les regarde? Leur art ne parle plus à personne. "La poésie n'est pas un élément moteur de notre monde et elle est socialement, culturellement inopérante."
Il y a de bons plasticiens et des écrivains talentueux, certes, mais ce n'est plus de la poésie et à peine de la peinture. Sans doute existe-t-il quelques ermites comme Kenneth Withe, comme le peintre Berlinghieri dont il faudra raconter l'histoire. Des poètes hyperboréens de haute stature:
"Comme un vent violent, comme une baleine blanche, comme un ange... chaque poète exprime l’expérience originelle avec les symboles qui lui sont particuliers, la densité charnelle et spirituelle de son langage propre, mais l'expérience demeure fondamentale pour tous. C'est le départ du Bateau ivre: "et dès lors, je me suis baigné dans le Poème / De la Mer, infusé d'astres, et lactescent" - le premier élan de la potentialité, le sujet naissant à lui-même en tant que centre d'énergie, et l'arrivée sur un sol ontologiquement plus riche. "Un jour j'ai vu tes yeux, ô vie, et je me sentais tomber dans un abîme sans fond", dit de son côté Zarathoustra."