
"
L'esprit de Memnon", ou plutôt devrais-je l'appeler "
le colosse de Memnon" (tant ce sentiment me paraît aujourd'hui un ennemi indétrônable, qui chante à l'aube depuis des siècles), je l'avais injustement confondu avec "
l'esprit de Christiania":
"Certes, l'esprit de Christiania flotte encore, et je me sens tout autre..." (mai 2011). Quelle erreur! L'un est un éloignement, une incompréhension douloureuse de soi, tandis que l'autre consiste à s'assumer sereinement. Ou, autrement formulé, l'un est une destruction inquiète, l'autre une revendication insouciante.
Au moindre moment de solitude, c'est comme si toutes mes attaches (pourtant joyeusement acceptées) s'évanouissaient, comme si je n'avais ni père, ni certitude quelconque... J'envie ces personnes qui savent exactement qui elles sont. Seuls aux mots peut-être j'appartiens, à la langue française.
Dans la même veine, j'ai presque honte de révéler que je déteste voyager seul. N'est-ce pas un aveu de possession par le
Colosse de Memnon? Et cela signifie-t-il que je me suis devenu une mauvaise fréquentation? Comme je me sens loin, par exemple, de cet ami que j'avais évoqué
ici (surnommons-le "le resquilleur") et qui partait seul dans des voyages lointains: "c'est le meilleur moyen, me disait-il, de rencontrer les habitants ou d'autres voyageurs. Voyager avec des amis oblige à ressasser les mêmes histoires: on ne bouge pas" (j'invente un peu, mais ce genre de déclaration m'avait frappé: nul ne s'étonnera d'apprendre qu'il aimait l'affreux violon solitaire de Bach). Ce sont les autres qui vous créent, qui vous accolent des attributs, et, une fois mort, seuls demeureront hélas ces attributs... Notre sujet, notre "moi", dans l'isolement de cet aéroport bruyant et encombré, me semble un perpétuel recommencement, un pacte aisément récusable, toujours enclin à une extraordinaire métamorphose!