dimanche 29 juillet 2012

... in silence sad / trip we after the night's shade

Pérégrinations d'une nuit d'été, en compagnie d'un "Puck" toujours agréable malgré les années qui passent, après une journée oisive remplie de vaines conquêtes dignes des rois Égée et Obéron, de visions dont le suc d'aucune fleur - hélas! - ne me détournera. Et tandis que nous avancions dans la nuit, pénétrant dans des quartiers inconnus, rues sombres, bruits soudains qui faisaient accélérer nos pas rapides, l'étrangeté de la situation ne provoquait aucun réveil salutaire. 
Car me voici maintenant devant mon écran, sain (?) et sauf. L'angoisse d'aller se coucher me saisit, comme chaque fois que je me retrouve seul. Je fuis les imminentes disruptions; je ne peux rien décider, attendant le calme de l'aube. La mort ne sera pas pour ce soir. La vie non plus.

dimanche 22 juillet 2012

Ce qui doit le plus étonner

A propos de pyramides, cette phrase de Vivant Denont lors de l'expédition d’Égypte, applicable à nombre de constructions ou de situations contemporaines*: "On ne sait ce qui doit le plus étonner, de la démence tyrannique qui a osé en commander l'exécution, ou de la stupide obéissance du peuple qui a bien voulu prêter ses bras à de pareilles constructions."

Que les heures sans nuages

En tournant les pages d'un ancien album photo, succession de fêtes, de voyages, j'ai été pris d'une émotion triste, comme le lent surgissement d'une évidence à travers la surface tourmentée du passé. Nous y semblons si heureux! Certes, nous n'avons gardé que les photos souriantes (à l'époque, il n'était pas question de gaspiller les pellicules et le papier dans les petits accidents de la vie) et, comme ces vieux cadrans solaires, "horas non numero nisi serenas"*... Combien je regrette maintenant de n'avoir que ces photos exceptionnelles, sans celles du quotidien! Mais il m'en reste quelques souvenirs.
Et je crois que la vie était effectivement sereine, amusante, pour les enfants comme les parents. Puis quelquechose est arrivé, qui a rongé cet état de l'intérieur. Sur les photos, toujours la même succession de fêtes, de voyages, mais je sais bien, pour y avoir participé consciemment, que le cœur n'y était plus. Pendant longtemps, je crus que c'était de ma faute, à cause d'une fugue qui a coïncidé avec le début de cette période de turbulences.
En y songeant de nouveau, par delà les années, j'entrevois des hypothèses plus probables: désaccord sur les lieux de vie, adolescence imprévue (!), gêne financière, crise économique (déjà!) qui ternissait les perspectives ambitieuses, et peut-être sur tout cela l'écroulement de l'amour. Enfants embarqués dans cette piteuse équipée, nous avons vécu ces événements comme des passagers enfermés dans leurs couchettes, souffrant de mal de mer, n'attendant pas uniquement le rétablissement d'une brise tranquille, mais la fin du voyage, le retour immédiat sur terre. Il aurait été plus sain et raisonnable de divorcer, étions-nous convaincus, et j'en ai depuis tenu rigueur à mes parents, mais qu'en savais-je alors? Qu'en sais-je aujourd'hui? Après tout, l'essentiel est d'être demeuré en vie, de la transmettre; le reste est un peu accessoire.

mercredi 18 juillet 2012

Epique pique-nique

Toujours dans le même livre (une mine intéressante! que j'ai pu creuser en une matinée, grâce à une maladie passagère qui m'a bienheureusement cloué au lit avant-hier), le récit de cette "croisade" dont l'histoire a bien voulu effacer le souvenir, entre la sixième et la septième, et qui a échoué en moins de deux semaines!
Fraîchement débarquée en novembre 1239, la chevalerie française se précipite vers Ascalon... Par une belle nuit claire, "sans aucune précaution, sans envoyer d'éclaireurs, la folle chevalerie française mit pied à terre pour se restaurer dans une dépression abritée entre les dunes. "Ils firent étendre les nappes et s'assirent pour souper, car ils s'étaient fait suivre d'un convoi chargé de pain, de gélines et de chapons, de grillades et de fromages, de vins et de fruits. Les uns mangeaient encore, les autres, ayant fini, dormaient ou soignaient leurs chevaux." Or, l'armée égyptienne, instruite heure par heure de leur marche, avait silencieusement garni d'archers les dunes environnantes et fermé avec sa cavalerie toutes les issues du vallon. Soudain, au milieu du silence de cette nuit d'Orient, les fanfares sarrasines éclatent en un vacarme assourdissant et les croisés se voient cernés et criblés de traits par l'ennemi, maître de toutes les hauteurs. Les chevaliers essaient de charger, mais dès les premiers pas les chevaux s'enfoncent jusqu'à mi-jambe dans le sable..."
Quelle farce bien française - on croirait un fameux épisode des Monty Pythons... Sauf qu'encore une fois, la réalité est encore plus extravagante que la fiction, et qu'une telle aventure, dans un roman de cape et d'épée, aurait fait soupirer le lecteur, et l'aurait fait reposer son livre en jugeant l'auteur décidément trop farfelu.

A la cour nomade de l'empereur mongol

Cette impression que partout, même dans les lieux les plus improbables, vivent quelques Français. Il suffit de lire nos annuaires d'anciens pour s'en rendre compte, et je croyais que cette impression était liée au fait relativement récent que la France est devenu un pays d'émigration important...
Mais c'est déjà un mouvement ancien, et quoique nous soyons certes un peuple conservateur, il y a toujours eu des aventuriers pour partir dans des pays lointains. Ceux qui vont aujourd'hui à la City seraient allés, hier, dans quelque Venise ou Constantinople, profiter de la richesse du monde. D'autres allaient encore plus loin, si j'en crois cette anecdote racontée par René Grousset* dans son Épopée des croisades: en 1253, Guillaume de Rubrouck, après presque un an de voyage à travers l'Asie, arrive enfin au campement du grand Khan près de Karakoroum. "A la cour nomade de l'empereur mongol, l'envoyé de Saint Louis eut la surprise de rencontrer une Lorraine, la dame Pâquette de Metz, (...) un orfèvre parisien, nommé Guillaume Boucher, dont le frère, nous dit-il, demeurait à Paris, sur le Grand Pont." Déjà, le luxe parisien dans les steppes asiatiques!

mardi 17 juillet 2012

Prince de Perse

Della Rovere constatait, en regardant un documentaire sur des manifestations dans les années 1960, que les gens sont beaucoup moins révoltés aujourd'hui... Les slogans d'alors nous semblent maintenant absurdes, et ceux qui les profèrent encore nous paraissent de curieux rêveurs. La situation actuelle devrait pourtant susciter davantage de réaction*! C'est incompréhensible!
Ou bien, peut-être, doit-on attribuer cette apathie aux nouvelles technologies, qui nous livrent le savoir et la communication gratuitement, aux jeux électroniques qui nous donnent à tous d'être Gengis Kahn, le prince de Perse, Superman, qui sais-je encore? Ou à la téléréalité, qui fait croire que nos vies et nos personnes médiocres valent tout de même d'être connues? Ainsi, avons-nous gagné, au tournant du millénaire, quelques années de paix sociale...
Mais une fois détruites ces illusions, passés de mode ces divertissements, que restera-t-il?

mercredi 11 juillet 2012

To Rome with love

En rêve, la colonne de Trajan, monumentale, irrésistible, suffocante; j'en suis presque rassuré, car j'avais l'impression que ces rêves ne revenaient plus (peut-être est-ce simplement que je ne m'en souvenais pas le matin). Cela me désolait, car la possibilité d'orienter ses rêves vers tel sujet, telle situation, ou telle ville, est une des grandes consolations de la vie.
Et je trouve également rassurant de constater que mes goûts, s'ils demeurent similaires, ont suivi mon âge, que je n'ai pas vraiment de désir pour la jeunesse, mais plutôt pour des personnes de même âge, voire un peu plus*. J'imagine qu'il y a pourtant un moment où cette évolution s'interrompt, et où c'est précisément la différence d'âge qui suscite l'excitation. Pour certains, trop tôt; pour d'autres, jamais peut-être - heureux centenaires, qui désirent d'autres centenaires!

mardi 10 juillet 2012

Comédie française

De cette voisine de théâtre la réaction courroucée quand, après quelques parles anodines, je lui demandais gentiment si elle était française. Erreur de débutant! Car elle a compris que son accent d'Europe centrale l'avait trahie, malgré sa parfaite connaissance de la langue; ma question signifiait "vous m'avez dit trois phrases creuses, et je vois bien que vous n'êtes pas française". C'est comme si j'avais par la même occasion jugé ses vêtements, son allure... 
Aurais-je demandé "Êtes-vous parisienne?", sans doute la réaction eût été plus souriante, et eût-elle compris "non seulement française, mais parisienne". Comme les trois phrases auraient paru plus profondes, enrichies du "bénéfice du doute"! Et ses vêtements informes auraient eu soudain le prestige d'une bohème - les premiers habits trouvés dans l'appartement très proche, quand, sur une intuition de dernière minute, notre "parisienne" se serait décidée à aller au théâtre entre mille autres propositions attirantes. Cela ne m’aurait rien coûté.
A la place elle dut me répondre, dans une grimace triste, qu'elle était allemande.

samedi 7 juillet 2012

Gens du Nord

Surprenante décision prise par l'UNESCO de classer au patrimoine mondial le bassin minier du nord de la France. Certes, ce sont des lieux de mémoire valables, et à ce titre méritent une conservation au niveau régional (national?). Ils ont une signification pour les "gens du Nord" – mais pour l'humanité? Il existe bien d'autres sites miniers partout ailleurs, et de plus actifs... 
Je me souviens, par exemple, du colossal terril qui se dresse au bord de l'A1, non loin de l'embranchement pour Douai. Nous l'apercevions de loin, et, après la traversée des lourdes plaines picardes, il annonçait le retour prochain à la maison, l'imminence de la fin du voyage. Nous avons entendu parler des dernières fermetures, vu ses flancs se creuser progressivement, des mousses, des herbes, puis des arbres y prendre racine; nous avons vieilli avec lui.
Un autre souvenir, encore, de cet après-midi de juillet où ma mère me conduisait pour un entretien d'admission universitaire, vers une sorte d'abbaye près de la mythique ville de Thérouanne*, où les étudiants révisaient les concours, au calme, quand, au détour d'une petite hauteur, étincelant sous le soleil, surgirent soudain de la plaine de Lens les pyramides noires cernées par les maisons de briques, comme ces photos de Gizeh rongé par la croissance du Caire.
L'entretien s'était bien passé, mais l'atmosphère de franche camaraderie qui émanait de l'institution, et, plus encore, les perspectives optimistes que le directeur m'avait tracées, ne m'avaient pas inspiré confiance ("A grande oferta, grande pensamiento, y a mucha cortesia, mayor cuidado!"). Peu de temps après, je décidai de quitter le Nord.

mercredi 4 juillet 2012

Quintette d'Avignon

Le Quintette d'Avignon n'a pas eu le même succès que le Quatuor d'Alexandrie et, à la lecture du premier tome, on n'en est guère surpris... Histoire trop complexe, sans but, manquant de la précision dans l'exubérance du Quatuor, etc. Gott! les interminables théories gnostiques du sage Akkad, par exemple, mais rattrapées par la subite révélation, à Alexandrie, que toutes ces pratiques ne sont que des filouteries, "initiations religieuses montées par des escrocs habiles à exploiter les touristes naïfs". Cela donne surtout l'impression qu'il cherche à se moquer des lecteurs dévoués comme moi.
Et pourtant, on retrouve encore ça et là le vieux génie, dans quelques descriptions qui valent bien les pesanteurs du livre: la traversée du désert, les scènes de fête dans le château provençal, et surtout, cette extraordinaire descente du Nil, dix pages d'une splendeur inégalée, qui rendent l'expérience de la lecture supérieure à toute autre forme d'art, supérieure au rêve, et à la vie même, peut-être. Il faudrait tout citer, mais le lecteur n'aura qu'à s'acheter le livre* (ce qui n'est pas forcément facile); prenons la fin du passage:
"Quotidiennement, le Nil semblait croître en grandeur et en magnificence et pendant toute une série de journées, nous découvrîmes que notre route traversait une sorte de mer intérieure ou de delta parsemé de ravissants îlots couverts de végétation, sombrant ou émergeant selon les mouvement des eaux. Ils avaient la fragilité solaire de ces rêves auxquels on ne peut croire qu'à demi. Je comprenais maintenant l'impression qu'on devait éprouver sur les autres grands fleuves du monde, le Yang-tseu-kiang, le Gange ou l'antique Amazone. Un univers entier défilant dans un kaléidoscope de couleurs, changeant sans cesse, sans cesse fluctuant. Tout le jour ce festival de couleurs et puis, le soir, le ciel surchargé d'étoiles scintillantes, tels les rameaux chamarrés d'un amandier en fleur. Debout sur le pont, dans la nuit, écoutant les abois lointains des hyènes, suivant les lumières d'un village, nous nous imprégnions d'une paix et d’un calme immenses et sentions s'écouler autour de nous le vieux fleuve qui léchait la proue de notre embarcation et glissait sous les rêves des humbles marins arabes comme une nappe de verre."
Voilà un homme qui méritait d'exister!