Fini en peu de temps, grâce à un paisible dimanche ensoleillé, la somme de Frederic C. Lane sur l'histoire de Venise. Cette lecture est enrichissante, copieuse... Et pourtant je reste sur ma faim! Comme pour René Grousset (qui arrête son Épopée des Croisades en 1291) ou d'autres, je regrette qu'il n'y ait pas plus d'éléments sur Venise après sa chute. C'était tout l'intérêt du livre d'Eileen Power d'avoir su raconter la transition du Ve siècle, le fait que les contemporains n'avaient pas vraiment mesuré la fin de leur civilisation. Par exemple, qu'est-il advenu de cette orgueilleuse aristocratie vénitienne, de ces manufactures, des réseaux d'échanges?
Un peu d'histoire-fiction aurait été bienvenue: Venise aurait-elle pu rétablir ses institutions pendant ou après l'épisode napoléonien, dans le cadre d'un équilibre de puissances? Certes pas comme un empire maritime (car au temps des "nationalités", elle n'aurait pu maintenir sa domination sur les grecs, sur les slaves), mais comme une cité-état: après tout, ce n'est pas plus fantaisiste que la préservation jusqu'aujourd'hui de stupides territoires comme Monaco, Saint-Marin, le Liechtenstein. Venise aurait pu se démocratiser, et réinventer son fonctionnement économique: son site portuaire, quelques activités touristiques (comme elles s'amorçaient déjà au XVIIIe siècle), le jeu "à la Macao", un centre de finance offshore... La situation économique en 1797 n'était pas si piteuse: l'auteur sous-entend même que Venise avait su tirer parti des rivalités franco-anglaises liées à l'indépendance américaine, et était redevenue, à la faveur de la révolution française la principale force commerciale du Levant. Quant à la situation sociale, elle n'était pas plus sclérosée que dans le reste des États italiens, et aurait sans doute pu s'améliorer sans peine. Je ne crois pas aux mouvements inéluctables*. La décadence de Venise nous apparaît totale uniquement parce que nous connaissons la suite des événements.
De même la chute de Constantinople n'était sûrement pas inévitable. Les Grecs avaient la ressource d'une large population; ils auraient pu se ressaisir, comme ils l'avaient fait au VIIe et au XIe, quand l'empire était déjà sur le point de disparaître. Si Byzance n'avait pas eu le feu grégeois en 673, ou s'était effondrée face aux Seldjoukides après Mantzikert, nous (mais qui serions-"nous"?) conclurions sans doute à l'impossibilité qu'elle se maintienne pour plusieurs siècles.
Quant à Venise, c'est le même processus de périls gravissimes (la guerre de Chioggia) et d'éclatantes réinventions: par exemple la reconversion du prospère emporium en une puissance manufacturière, agricole et financière, entre le XIVe et le XVIe. Feuilletant l'Histoire de ma vie que j'avais un peu délaissée ces derniers temps*, j'espérais retrouver ce qu'en disait quelqu'un comme Casanova à l'approche des événements (jusqu'à ce que je me rende compte que le livre s'achève bien avant). L'écho a dû lui parvenir jusqu'au lointain château de Dux - puisqu'il est mort en 1798 - mais a-t-il seulement cru à l'écroulement irrémédiable de la République? Et si oui, quelle fin éprouvante... quel désastre, en effet: la risée de ces inférieurs inconnus, la lente montée de l'humidité et de la mort, le refuge dans un passé réenchanté - pour mieux mystifier les générations futures!

De même la chute de Constantinople n'était sûrement pas inévitable. Les Grecs avaient la ressource d'une large population; ils auraient pu se ressaisir, comme ils l'avaient fait au VIIe et au XIe, quand l'empire était déjà sur le point de disparaître. Si Byzance n'avait pas eu le feu grégeois en 673, ou s'était effondrée face aux Seldjoukides après Mantzikert, nous (mais qui serions-"nous"?) conclurions sans doute à l'impossibilité qu'elle se maintienne pour plusieurs siècles.
Quant à Venise, c'est le même processus de périls gravissimes (la guerre de Chioggia) et d'éclatantes réinventions: par exemple la reconversion du prospère emporium en une puissance manufacturière, agricole et financière, entre le XIVe et le XVIe. Feuilletant l'Histoire de ma vie que j'avais un peu délaissée ces derniers temps*, j'espérais retrouver ce qu'en disait quelqu'un comme Casanova à l'approche des événements (jusqu'à ce que je me rende compte que le livre s'achève bien avant). L'écho a dû lui parvenir jusqu'au lointain château de Dux - puisqu'il est mort en 1798 - mais a-t-il seulement cru à l'écroulement irrémédiable de la République? Et si oui, quelle fin éprouvante... quel désastre, en effet: la risée de ces inférieurs inconnus, la lente montée de l'humidité et de la mort, le refuge dans un passé réenchanté - pour mieux mystifier les générations futures!