samedi 12 octobre 2013

Conquête de la Sicile

Lu, tandis je prenais un café dans une rue dont j'ignorais jusqu'alors l'existence (moi qui croyais avoir suffisamment arpenté la ville depuis si longtemps!), lors d'un instant volé à un retour en famille plutôt pesant, cette phrase de Chateaubriand citée par Jean d'Ormesson*: "La jeunesse est une chose charmante ; elle part au commencement de la vie couronnée de fleurs comme la flotte athénienne pour aller conquérir la Sicile et les délicieuses campagnes d'Enna."
Je ne sais pas pourquoi cette phrase m'a marqué; il ne me semble pas que ma jeunesse ait jamais été ambitieuse, ni couronnée de fleurs, sauf dans des rêves dont je n'ai jamais esquissé le moindre début d'exécution*: c'était une époque assez ingrate et peu joyeuse, y compris par rapport à aujourd'hui. Mais la phrase m'a rappelé ces fameuses "délicieuses campagnes", un des paysages les plus spectaculaires qui m'ait jamais été donné de contempler, la vue de Calascibetta depuis la forteresse d'Enna, sous l'écrasant soleil de midi, l'impression d'une vie écartée des frivolités touristiques, semblable à ce qu'elle avait dû être depuis des siècles, la révélation de l'éternité dans une voyage qui avait pourtant déjà multiplié les émerveillements. Bref,  un endroit que l'on ne voudrait recommander à personne pour en éviter l'invasion par les foules (qui, de toute façon, prendra vraiment la peine d'aller jusque là, de marcher dans cette insupportable chaleur pour un seul paysage?), mais où l'on voudrait parfois être soudain téléporté, comme l'esplanade de Vézelay, le parc des Brecon Beacons, la descente depuis le cimetière de Burgazada, la colonnade d'Apamée au petit matin, l'oasis de Fint dans la fraîcheur de l'automne, une marche aléatoire dans Venise - chut! arrêtons-là notre liste personnelle des merveilles du monde, de peur qu'on nous interdise à tout jamais de nous plaindre...
Résolu d'acheter les Mémoires d'Outre-tombe, je me suis précipité dans la librairie la plus proche ( d'autres aventures m'attendaient...). Je voulais les relire rapidement, me souvenant les avoir empruntés à la bibliothèque paternelle et lus avec passion quand j'avais quinze ans, à l'époque où, au lieu d'entreprendre la conquête de la Sicile, je préférais la compagnie des vieux auteurs (cela n'a guère changé depuis*).


PS: "Il y a des lieux que l'on ne quitte pas, même lorsque l'on s'en éloigne, de même que l'amour ne dépend ni du temps ni de l'espace;" (Henri de Régnier*)