Lisant ce livre sur l'époque coloniale, je me suis souvenu d'un jeu de "sept familles" très ancien, déniché autrefois chez mes grands-parents et qui représentait des contrées disparues, Siam, Haute-Volta, Côte-de-l'Or, Indochine, scènes de chasse au tigre ou au lion, traversées en pirogues, temples dissimulés derrière les lianes et les banians...
Sans doute parce que je l'avais ces cartes mystérieuses en main lorsqu'elle m'avait pris sur ses genoux, "Tante Roberte" (une des nombreuses sœurs de ma grand-mère paternelle) m'avait demandé si j'aimais les voyages. Je dus acquiescer avec enthousiasme car elle posa sa main sur moi gravement, et me fit la merveilleuse promesse de m'emmener avec elle "aux Indes"... C'était avant la mondialisation, avant Internet, et dans mon imaginaire d'alors cette aventure me sembla quelque chose d'extraordinaire, une traversée à dos d'éléphant le long du Brahmapoutre, Tante Roberte en habits blancs et ombrelle, dans la forêt tropicale, dans les allées reconstruites d'un mausolée, dans la lumière poudreuse du matin, sous une lune bleue, guidés par le Maharadjah de Rawhajpoutalah et le Livre de la Jungle dont j'écoutais à l'époque inlassablement le "33 tours"... L'élégance de Tante Roberte me l'avait fait considérer comme une sorte de millionnaire capable de telles extravagances, et sa proposition me parut donc tout à fait sérieuse - d'autant que mes parents à qui je demandai rapidement l'autorisation ne semblèrent pas s'y opposer (m'avaient-ils au moins entendu? ou avaient-ils préféré différer le moment de la déception?). Il ne restait plus qu'à choisir la date.
Sans doute parce que je l'avais ces cartes mystérieuses en main lorsqu'elle m'avait pris sur ses genoux, "Tante Roberte" (une des nombreuses sœurs de ma grand-mère paternelle) m'avait demandé si j'aimais les voyages. Je dus acquiescer avec enthousiasme car elle posa sa main sur moi gravement, et me fit la merveilleuse promesse de m'emmener avec elle "aux Indes"... C'était avant la mondialisation, avant Internet, et dans mon imaginaire d'alors cette aventure me sembla quelque chose d'extraordinaire, une traversée à dos d'éléphant le long du Brahmapoutre, Tante Roberte en habits blancs et ombrelle, dans la forêt tropicale, dans les allées reconstruites d'un mausolée, dans la lumière poudreuse du matin, sous une lune bleue, guidés par le Maharadjah de Rawhajpoutalah et le Livre de la Jungle dont j'écoutais à l'époque inlassablement le "33 tours"... L'élégance de Tante Roberte me l'avait fait considérer comme une sorte de millionnaire capable de telles extravagances, et sa proposition me parut donc tout à fait sérieuse - d'autant que mes parents à qui je demandai rapidement l'autorisation ne semblèrent pas s'y opposer (m'avaient-ils au moins entendu? ou avaient-ils préféré différer le moment de la déception?). Il ne restait plus qu'à choisir la date.

*
Sans doute n'avait-elle jamais envisagé de m'emmener en Inde, mais je ne lui en tiens plus rigueur. Si nous y étions allés, le rêve se serait brisé contre la réalité; nous aurions eu l'air bien malins, avec la vieille dame désorientée dans les rickshaws et la pollution de Delhi, touristes en proie aux arnaques et aux microbes... Comment lui en voudrais-je? Elle est décédée il y a plus de dix ans; personne ne fera jamais ce voyage. Mais en trahissant sa parole elle a préservé pour moi les trésors que sa promesse recelait, quand bien même je mettrais un jour les pieds en Inde, l'image impérissable et fastueuse de cette Inde-là.