lundi 31 octobre 2011

Une révélation fortuite

Et je parle de rencontre avec Cavafy, voilà qui trahit bien mon vieux rêve d'écrivain, et la raison pour laquelle, malgré la terreur qu'il soit découvert, je garde ce blog public. Car je persiste à me persuader que j'écris dans l'espoir d'une rencontre avec le lecteur, à la lueur d'une lampe de nuit, quand la ville même s'est assoupie dans un silence imparfait.
Au lieu de cela, je ne peux qu'espérer au mieux une révélation fortuite, un accident de "sérendipité", à la lumière vive des néons d'un open-space, qui divertira un moment le salarié peu motivé, jusqu'à ce qu'un collègue vienne inopportunément interrompre sa lecture, ou que le téléphone, l'obligeant à reprendre le travail, le tire d'une rêverie improductive.

dimanche 30 octobre 2011

Faits

Malgré la succession d'événements funestes - le suicide de Meyr, la perte d'anciennes fondations, l'éternel retour du même, sans parler des affres de "l'homme de trente ans" - la vie continue... Et dans cette campagne propice aux heureuses découvertes, je viens de dévorer en quelques heures le premier tome des Faits de Marcel Cohen.
Quelle merveille! On trouve dans ces anecdotes, systématiquement à la troisième personne, ce que sans doute j'ambitionnais de faire de ce blog au commencement, c'est-à-dire une description objective de l'homme, de la cité, et du monde - sur laquelle se sont ensuite greffées toutes sortes de considérations personnelles, d'impressions touristiques, de rêves. Certes, malgré la nature universelle de ses courts récits, Marcel Cohen n'en dévoile pas moins ses propres préoccupations, ses doutes. Mais il me semble parvenir à s'évader de sa personne ou des systèmes usuels, pour tracer un portrait rapide et ironique de l'humanité d'aujourd'hui (une humanité qui, malgré les années, ne se remet pas de la Shoah et de sa propre barbarie). Si seuls ces Faits pouvaient demeurer dans deux mille ans, comme l'archéologue du futur nous comprendrait sans effort!
Et au-delà de tous ces mérites déjà exceptionnels, j'y vois quelquechose de bien supérieur, une poétique beauté que je n'avais pas vue depuis longtemps, qui par bien des aspects me rappelle mon éblouissante rencontre avec Cavafy. Qu'on en juge:


VIII
Chaque fois qu'il en a le loisir, et où qu'il se trouve, un homme ne peut s'empêcher de visiter au hasard les appartements à louer. Ce n'est pas du tout parce qu'il s'estime mal logé et il n'a aucune raison de vouloir déménager. Ce qu'il cherche relève plutôt de l'hygiène mentale. En arpentant les pièces vides, il tente, en somme, de s'observer à la dérobée, et sous tous les déguisements compatibles avec le lieu, à la manière dont un comédien compose son personnage devant un miroir. Au-delà, c'est un peu comme si, à force d'éliminer tous les possibles, il espérait se convaincre qu'il avait toutes les bonnes raisons de parvenir où il se trouve déjà, et d'être aussi ce qu'il est devenu.
XXI
A peine triomphe-t-il pour la troisième saison consécutive qu'un jeune torero sent sa gloire se refermer comme un piège. Certes, on lui offre des cachets de plus en plus mirifiques, mais ils contribuent à créer une exigence et une attente toujours plus vives du public. Pourtant, et sauf à se jeter sur les cornes, comment ne pas voir qu'il est presque impossible de toréer en s'en approchant davantage? Et, de même, il est le plus mal placé pour expliquer que, si bien des matadors paraissent prendre plus de risques que lui, c'est une simple illusion d'optique: c'est seulement parce qu'ils sont plus besogneux que le danger paraît plus grand.
C'est bien pourquoi, alors même que ses amis se réjouissent sans réserve, le torero s'assombrit un peu plus à chaque succès: il sait, seul, que les qualités auxquelles il doit ses triomphes sont aussi celles qui préparent son déclin, peut-être même sa perte.
XLI
Un homme se demande quelle solitude élémentaire il cherche encore à préserver (et avec quelle étrange pudeur) quand il se croit tenu d'expliquer qu'il vient de passer une heure à s'acquitter de tâches ingrates, alors qu'en réalité il observait, allongé dans l'herbe, comme il le faisait enfant, l'offensive d'une légion de fourmis rouges contre les cohortes, sans cesse renouvelées, d'une armée de fourmis noires.
LXXVI
Alors que les êtres et les choses témoignaient sans relâche de sa présence au monde et qu'il lui semblait, jour après jour, apprécier un peu mieux son sillage parmi eux, un homme découvre que tout ne répète plus, désormais, que sa propre absence.
Quand, et comment, cette inversion s'est-elle opérée? Il serait bien incapable de le dire. Certes, si douloureux soit-il, et contre toute apparence, ce sentiment d'une perte est peut-être la preuve d'une regard plus aigu, auquel cas il n'avait à peu près rien vu jusque là, se dit-il. Et, à plus forte raison, comment aurait-il pu deviner ce qu'il expérimente maintenant tous les jours: que la beauté, alors même qu'on la touche, est déchirante comme un adieu et qu'un visage ami est parfois plus douloureux qu'une plaie ouverte.
Cependant, cet homme va, vient et se dépense sans compter.


PS: remerciements au blog de PA qui m'a fait découvrir cet auteur et m'a donné l'envie d'en acheter les livres.

mardi 18 octobre 2011

Αποκάλυψις

La mort de Meyr. Je l'ai apprise la semaine dernière, et voulais écrire une oraison funèbre bien inspirée. Mais je n'en ai pas eu le temps, et voilà qu'on m'écrit que Meyr s'est suicidé. Meyr! que je mettais à l'égal de Socrate, que j'avais fait figurer dans la trinité des sages de Moreiro, avec Pelks et Belsz. Événement apocalyptique aussi bien dans le sens moderne qu'ancien - catastrophe et révélation. Il fallait bien que ce soit aujourd'hui...

Je connaissais certes son pessimisme profond, que je croyais contrebalancé par son humour, ou son appréciation des belles choses (sa collection d'estampes en témoignait). Il prophétisait la fin du monde tel que nous le connaissons, l'avènement d'un "communisme doux" (sans être lui-même communiste, et cette perspective ne le réjouissait guère). Pourquoi un grand esprit ouvert et inventif comme lui n'a pas eu la curiosité d'attendre que se réalisent ses prédictions, de savoir que la marche du monde prenait bien la direction qu'il avait envisagée?
Et c'est sans doute ce qui me bouleverse le plus dans ce suicide: que ses soucis personnels aient étanché la soif de connaissance, éteint le désir d'être spectateur confortable du monde, à défaut d'en être acteur. Il était pour moi le représentant de l'ordre ancien, l'homme qui a fait le choix d'une vie consacrée à l'étude, au partage de la connaissance... Tout cela pour s'achever dans un vague pavillon, près de l'autoroute... comme on est loin du message de Meyr, du message des grecs anciens à la recherche de la vérité de l'homme! J'ai le sentiment d'une trahison personnelle, comme si le seul message révélé dans ce suicide était le suivant: le monde ne vaut pas la peine d'être connu, ni son avenir.

Ou bien y a-t-il un autre message enfoui plus profondément? est-ce que Meyr nous aurait signifié que la "fin du monde" qu'il décrivait a, en réalité, déjà eu lieu sans que nous ne nous en soyons rendu compte? Le discrédit complet des politiques renvoyés par les extrêmes et les "indignés", l'effondrement de la finance internationale et des grandes économies occidentales, le déclin culturel qui nous a fait perdre toute attache aux racines anciennes de notre civilisation, à part une vague nostalgie commerciale... Si l'engrenage est déjà enclenché, mieux vaut, effectivement, mourir que d'assister à ce gâchis, nous dirait-il dans une dernière leçon magistrale.

Ou bien est-ce encore autre chose?

dimanche 16 octobre 2011

Retour de Florence

Découverte finalement surprenante que ce retour à Florence... Vue et revue et cent fois, à tel point que les plus somptueux panoramas nous paraissent une image mensongère, "ceci n'est pas une ville", pensons nous en paraphrasant Magritte. Tout respire la fausseté dans cette ville que l'on croit cultivée, brillante, et qui n'est qu'un parc d'attraction, avec des habitants qui prétendent encore que cette ville leur appartient (impression de "dépossession" que j'ai déjà ressentie dans certains quartiers de Paris). Au moins les Vénitiens ne se bercent plus de ces illusions! Et les Romains, au contraire, conservent un semblant d'existence indépendante en abritant la capitale d'un État et de la Chrétienté. 
Mensonge que ces visages sereins de Botticelli, de Gozzoli, quand les pestes et la violence dominaient leur ville. Mensonge que cette architecture sécuritaire et majestueuse, reflet d'une stabilité factice, copiée dans les palais de justice et les sièges bancaires, à tel point qu'on se croirait dans une publicité pour Lehman Brothers (par exemple, Piazza Strozzi).

PS: mais ne restera finalement dans mes souvenirs que cet échange inattendu avec Della Rovere, annonce de bouleversements futurs.

samedi 8 octobre 2011

Petites montgolfières blanches

Ce rêve où nous aidions Woody Allen à déménager. Il habitait dans un grand immeuble avec une splendide cage d'escalier, au milieu duquel un ascenseur consistait en de petites montgolfières blanches, nuageuses. C'était extraordinaire.
Sans doute un rappel du GRMF, que j'ai repris le week-end dernier.

Excellente compagnie

Pour qu'on ne m'accuse pas de toujours jeter les livres dans mon cimetière des éléphants, et pour répondre à cette "fonctionnaro-intellectuelle" qui me demandait ce que je lisais, voici quelques auteurs ou livres indépassables, qui m'ont bouleversé en leur temps, et dont j'ai parfois fait état dans ces Brèves: parmi les vivants, Lodge (bien sûr!), Wolfe, Coe, Weyergans (?), Clair, Updike, Houellebecq, Paul Toussaint (pour être généreux), et, parmi les morts, Barbey d'Aurevilly et Balzac (les deux meilleurs), Durell, Dumas (celui du Comte de Monte Cristo, le roman le plus extraordinaire), Yourcenar (celle des Nouvelles orientales et du Denier du rêve), Proust, Tolstoï, Dostoïevski, Flaubert, Maupassant. Et bien sûr les grands poètes, Hugo, Jaccottet, Cavafy, Baudelaire, Chénier, Pessoa, Corneille, Froidmont.
Voilà... (de nouveau, liste ni définitive, ni exhaustive)

Du temps qu'on existait (suite... et fin?)

Enfin pu acheter Du temps qu'on existait, ce fameux livre de Marien Defalvard, pour lequel une rumeur favorable avait aiguisé ma curiosité, et... plouf (bruit d'un bloc de béton qui tombe au fond d'un port). Phrases et postures pesantes, mots alambiqués déféqués aléatoirement, mais surtout, Gott, quel ennui! Je ne nie pourtant pas quelques recherches dans certaines expressions - et un roman un peu touffu, "frouillé", débarrassé de l'obligation du scenario, n'est pas pour déplaire à notre époque minimaliste et cinématographique... mais quarante pages auraient suffi! On se croirait en face de ces films expérimentaux, à peu près tolérables sous forme de court-métrage, inadmissibles en long-métrage et pour lesquels la salle se vide progressivement, à part un vague carré des fidèles rassemblés là par d'autres motivations qu'artistiques. Moi non plus, je ne suis pas resté jusqu'à la fin: après une vingtaine de pages j'ai feuilleté la suite, et déjà quel temps perdu! Mais aussi, quel temps perdu pour lui, gaspillé (au moins il aura gagné quelque argent, et il n'aura qu'à faire mieux la prochaine fois).
Bref, voilà un livre qui va vite rejoindre le vaste cimetière de ces livres qui me sont "tombés des mains", et que je n'ai pas ramassés, livres dont la couverture ou la bonne réputation avait attiré mon attention au point de les acheter, mais qui n'ont pas rempli leurs promesses, et pour lesquels j'ai considéré que j'avais des choses plus intelligentes à faire que de les lire.
C'est une question de coût d'opportunité, effectivement, et - qui sait? - si jamais je me casse une jambe et que je dois rester immobilisé des semaines, peut-être rouvrirai-je le Defalvard? Et puis, qu'il ne le prenne pas mal, car il sera en excellente compagnie: entres autres Pynchon, Douglas Kennedy, Siri Hustvedt (indifférence à son récit), Pamuk, et dans les classiques plus anciens, Céline, Yourcenar (celle des Mémoire d'Hadrien), Les Trois Mousquetaires (aventures me semblant aller nulle part), Le Rouge et le Noir, Belle du Seigneur... (liste non définitive et non exhaustive).