La description de Gênes par Paul Morand* ressemble peu à l'impression que j'en ai eue.
"Les palais de ses aventuriers, vastes comme des demeures royales, développent leurs façades sur son port, s'alignent superbement aux bords de la rue Garibaldi sans trottoirs, où la circulation est un anachronisme bruyant et périlleux [cela a heureusement changé]. Les escaliers d'honneur forment des forêts de colonnes qui ont pour fauves des lions joueurs de boule [quelle surprenante image! et il est vrai que ces animaux m’avaient paru trop puissants, trop royaux, pour ce qui n'était, somme toute, que quelques familles marchandes - cela me rappelait ces nombreux pavillons de banlieues qui arborent des statues en plâtre sur leur portail, aux motifs de lions, de Vénus de Milo, là où un nain de jardin aurait été plus approprié et plus esthétique]."
Et la suite surtout forme un contraste avec ce que j'ai vu, mais il est vrai qu'il a visité une Italie encore jeune, non pas un pays vieilli et courbé sur son passé (j'essaie avec cette expression de traduire "backward-looking"). Un ami italien m'indique que la Ligurie est la région comptant le plus de retraités, loin de cette vitalité qui avait frappé Paul Morand: "Vers le soir, la vie citadine génoise reflue vers la place Deferrari envahie par les trams et les piétons, toute sonore de sifflets, de grincements, de klaxons et d’appels. Le monde élégant s'y retrouve et déguste des glaces. A la même heure, une autre vie s'éveille et s'anime sous les arcades du port [en fait d'arcades, il y a maintenant le pont sous l'autoroute]: marins de toute nation, rôdeurs de tous les quais, voyageurs à peine arrivés ou prêts à partir, commerçants de tous les petits commerces [rôle maintenant tenu, comme dans toute l'Italie, par ces malheureux clandestins africains dont on ne peut que saluer, avec un brin d'interrogation toutefois, la persévérance] vont et viennent, s'abordent, flânent devant les étalages de victuailles, bousculés par les gamins qui se poursuivent, amusés çà et là par le grillage d'une fenêtre discrètement éclairée."