Merveilleuse orthographe ancienne utilisée par Nerval pour les noms de lieux stambouliotes: Béchik-Tasch, Kouroukschemé, Arnaut-Keuil, Dolma-Bagtché - traduit "le jardin des légumes farcis": il a dû se faire berner par quelque kebapçı ou kébaptcheu du Bosphore!... De même a été mystifié Pierre Loti, dont les Désenchantées comptaient une journaliste parisienne, et deux turques délurées.
Comme ces orientalistes prêtent à sourire, quand on les relit avec quelque détachement! Et les souvenirs inspirés que j'ai rédigés il y a peu, sur les chants des muezzins
parcourant la ville, me font presque honte, à la réflexion. Comment pourrait-on imaginer que cette vision puisse correspondre quelconquement à la métropole actuelle, ou à la vie que je pourrais y mener (j'en suis bien conscient). Venant d'un autre j'aurais sans doute méprisé cette posture de contemplation béate devant le
différent, de même que j'abhorre ces pseudos-routards revenus de voyages lointains avec des images convenues sur la beauté de couchers de soleils, les sourires des enfants, et la spiritualité indienne. Ou les montagnards, ou les marins, qui nous ennuient avec des sornettes sur une prétendue "fusion" avec leur élément.

Agressivité injustifiée de ma part, car j'ai déjà exprimé
précédemment ce que doit signifier pour nous l'orientalisme, qui n'est pas la description scientifique ou même journalistique d'un pays, mais la translation d'un rêve, une projection de soi-même dans un univers éloigné de toutes contingences. Cette future vie stambouliote que j'évoque souvent
* est-elle de l'ordre du projet ou du fantasme? De la même façon, un cadre pressé pourrait rêver d'une vie méditative au fond de quelque Trappe bucolique, à l'écoute de Dieu et de la nature - sans jamais s'y conformer autrement qu'à l'occasion d'une courte retraite pendant un pont de mai.
D'ailleurs, la rencontre de ce rêve avec l'irréductible réalité ne provoquerait que désillusions, dépressions, "syndromes de Paris" - échec existentiel. Il n'y a rien d'autre à attendre. Ni d'Istanbul, ni d'ailleurs.