Une brève halte en gare d'Aigle (Suisse) m'a rappelé un "condisciple" d'autrefois, mort il y a quelques années, avant ses trente ans. Nous nous étions recroisés dans le train partant de Genève, et même si nous ne nous connaissions guère, nous avions passé le trajet à discuter ensemble; puis il était descendu à Aigle, où vivait un de ses oncles, tandis que j'ai poursuivi mon chemin.
C'était quelqu'un de tout à fait hors norme, à notre échelle d'alors et même au-delà, toujours prêt à courir de grands risques, toujours revenu d'une aventure improbable, d'une traversée de la Russie par exemple, et nullement intéressé par nos plans de carrière répétitifs. Il aurait pu devenir un patron aventurier, un émule de Richard Branson; son originalité le condamnait à un destin exceptionnel.
Il est ainsi l'un des seuls que je connaisse dans ma génération à avoir effectué un service volontaire dans l'armée, 18 mois dont 12 d'entraînement et de service dans un commando de marine. Je me demande s'il ne revenait justement pas de permission, et ne m'avait pas raconté quelques anecdotes militaires, tandis que le train nous emmenait par les bords du lac, dans une merveilleuse lumière printanière - conversation dont je n'ai hélas rien noté, interrompue sans doute par la contemplation des montagnes, des coteaux reverdissant, des sillages s'agrandissant à la surface de l'eau (même si ce paysage est une reconstruction ultérieure de la mémoire, qui osera dire que je mens?).
Il est ainsi l'un des seuls que je connaisse dans ma génération à avoir effectué un service volontaire dans l'armée, 18 mois dont 12 d'entraînement et de service dans un commando de marine. Je me demande s'il ne revenait justement pas de permission, et ne m'avait pas raconté quelques anecdotes militaires, tandis que le train nous emmenait par les bords du lac, dans une merveilleuse lumière printanière - conversation dont je n'ai hélas rien noté, interrompue sans doute par la contemplation des montagnes, des coteaux reverdissant, des sillages s'agrandissant à la surface de l'eau (même si ce paysage est une reconstruction ultérieure de la mémoire, qui osera dire que je mens?).
Sa mort elle-même, dans les rapides d'une rivière écossaise en crue, avait profondément frappé les esprits - autant que la spectaculaire défenestration d'une autre connaissance, peut-être sous l'emprise de la drogue, dans une lointaine ville asiatique - suicide dont j'ai parlé "avec cœur" en des temps anciens, et auquel je repense parfois, au détour d'un nom ou d'un article.
Plus étonnant encore, personne n'a pris la peine ou n'a eu le courage de supprimer son profil des réseaux sociaux, ni bien sûr de continuer à le mettre à jour (ce serait toutefois une expérience curieuse). Par conséquent, il apparaît encore parmi les amis, reçoit peut-être des demandes de mises en relation, etc... C'est comme si l'éternité numérique avait piégé sa forme intacte dans d’indéchiffrables connexions, momie surgissant à la première recherche, hantant les serveurs de la Silicon Valley - plus sûrs registres que le marbre de sa tombe ou que mes fragiles souvenirs!