lundi 25 février 2013

et puis on pense aux malheureux poètes

N'avais-je pas cité William Cliff dans l'anthologie de la "nouvelle poésie" que j'avais rapidement collectée, et que je devrais un jour mettre en ligne? J'avais déjà lu quelques uns de ses poèmes autrefois, et j'ai récemment acheté par hasard Immense existence* et America suivi de En Orient*.

Dans En Orient, il procède à un curieux pèlerinage à Alexandrie, "j'ai vu la chambre où Cavafis est mort / dans la misère", décrivant le poète des dernières années, et l'oubli qui a gagné sa ville, seulement perturbé par  
 "les étrangers qui viennent
   voir où vécut
   un des plus grands poètes de ce siècle
   mort inconnu".
La même idée se retrouve presque mot pour mot dans un poème d'Immense existence
 "et puis on pense aux malheureux poètes
   qui n'ont jamais connu sur la planète
   rien du renom qu'ils croyaient mériter
   et qui s'en vont comme de pâles ombres
   mêler leur nom à l'immense décombre
   de tous ceux qui n'ont jamais "existé""
Comme si William Cliff se prenait pour une sorte de Cavafy belge, forcément moins intellectuel, moins universel, moins lumineux:
 "Je ne comprends pas pourquoi tu détestes
   cette rudesse alors que j'aimerais
   rester ici dans un hôtel miteux
   pour faire connaissance avec ton corps
   apprenant ce que c'est que ce goût de schiste
   et le silence si beau de ton visage"

Oui, un vrai poète bruxellois, en fin de compte, non bridé par le désir d'être à la mode, fidèle aux formes anciennes - le poète de la solitude profonde; et sans doute cette solitude même est-elle encore liée d'une certaine façon à cette ville sordide et indifférente ("atroce"?), où le sexe ne sert pas à l'épanouissement vital, mais à "aider à oublier sa solitude", où la nuit n'est qu'une préfiguration de la mort:
 "et nous sommes si seuls! dans cette ville atroce
   seuls pour marcher sur ton tarmac seuls pour aller
   demander à la nuit de nous ouvrir sa fosse"