jeudi 28 février 2013

Mesure du désordre

A propos de théories scientifiques, un récent documentaire sur la théorie de l'entropie (une théorie un peu fourre-tout, mais pour faire très simple dans le contexte du documentaire, l'évolution de tout système vers un désordre croissant, une plus grande complexité) m'a semblé avoir des conclusions un peu hasardeuses. Si le concept est sans doute exact au niveau de l’astrophysique, il n'est pas - contrairement à ce que prétendait le documentaire - applicable aux sciences humaines, ni sans doute aux sciences naturelles. Ainsi, c'est au phénomène inverse que nous assistons: le rétrécissement de la diversité culturelle et linguistique, la disparition des espèces animales et végétales, l'uniformisation du monde...
C'est une théorie tout à fait dans l'air du temps, qui reflète par exemple le mouvement de création exponentielle de données par l'évolution des technologies informatiques. Alors que le savoir s'amassait autrefois lentement dans les bibliothèques et les musées comme un trésor, il se développe de façon désormais incontrôlée, dans un désordre propice certes aux heureuses rencontres, mais dont personne n'a plus les clés (il suffit de discuter avec quelques professeurs de lycée ou d'université pour mesurer à quel point les modes de transmissions anciens se sont effondrés).
Toute cette accumulation de données est pourtant très factice:  il suffirait de l'explosion de quelques serveurs pour mettre subitement fin à l'entropie, pour provoquer une disparition majeure du savoir - un drame peut-être même supérieur à ce qu'à pu être, pour les connaissances antiques, l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie.
Il y a trois ans, on aurait pu me rétorquer que ce risque était inexistant vu la capillarité d'Internet et des systèmes informatiques mondiaux, le fait que si un serveur s'effondre, des centaines d'autres peuvent prendre sa place. Est-ce encore vrai? Car il me semble que l'informatique en "nuage" (quel enfumage!) est une sorte de retour à la centralité, sonne la fin de la gratuité, de la générosité, du partage - toutes espérances qu'Internet a pu susciter autrefois, mais qui commencent à être sérieusement compromises.