Une architecture banale, pourtant présentée en termes grandiloquents (quel dommage, alors que l'on construit de telles merveilles aujourd'hui!), mais une architecture qui a le mérite d'être parfaitement adaptée à la logique de ce nouveau musée, une logique profondément contemporaine: dans un vaste hangar, sous une lumière blanche, surgissent presque aléatoirement des chefs-d’œuvre, sans parcours balisé, sans hiérarchie (il y a bien une vague logique chronologique et géographique, mais j'imagine que sous peu, au prochain accrochage, disparaîtront les repères de l'espace et du temps). Me frappent également la proximité avec les œuvres, l'absence de vitrines, d'explications, de contexte - car l'explication succincte donnée par l'audioguide ne peut remplacer l'amoncellement des objets similaires ou inférieurs qui caractérisent les salles du Louvre (par exemple, des objets de la vie quotidienne), et qui seules permettent de commencer à comprendre les civilisations d'autrefois.
A quoi peut bien servir ce musée? Peut-être (et c'était un objectif revendiqué), à servir de mise-en-bouche, de "teaser", à des populations privées du spectacle de la beauté? Mais que retiendront-elles de ces œuvres nomades, convoquées pour un défilé de mode éphémère? Même au musée du Quai Branly nous n'avons pas osé traiter avec un tel irrespect les objets pillés à des peuplades lointaines et auxquels nous avons nié la dimension sacrée; là-bas, la vocation éducative était encore très marquée, qui est désormais écartée ou considérée comme déjà acquise (comme si le public était plus proche de la Mésopotamie antique, de la France gothique, ou du Quattrocento, que des civilisations papoues!). Doit-on y voir le passage des années Chirac, encore marquées par la fidélité à la tradition, aux années Sarkozy/Hollande, où domineraient la communication spectaculaire et stérile?
Il n'y a pourtant pas lieu de le regretter, car, entretemps, la grande révolution numérique a eu lieu. Désormais, ni le musée ni la bibliothèque ne sont les vrais lieux d'emmagasinage du savoir et de diffusion de la connaissance. A cet égard, plutôt qu'une autre institution ou un supermarché (dont il a l'apparence extérieure comme intérieure), ce musée m'évoque un vaste nuage numérique, où le visiteur navigue par des liens fortuits d'un endroit à l'autre, sans avoir à suivre des couloirs ou à s'interrompre devant des vaches sacrées qu'on lui imposerait. Ne nous promet-on pas aussi de fréquentes mises à jour, peut-être un jour la possibilité de voter pour les œuvres que nous voudrions voir exposer (il faudrait que j'en propose l'idée au "conservateur" - s'il ne l'a déjà eue)?
PS: d'ailleurs, ne devrait-on pas y voir pour l'art contemporain, basé sur la sélection et la direction des goûts par une élite, le signe d'un effondrement imminent?