mardi 25 juin 2013

Printemps

J'étais furieux des récentes manifestations au Brésil, craignant qu'elles ne détournent l'attention du monde sur les graves déchirements que connaît la Turquie - et les autorités turques n'ont bien sûr pas manqué de faire diversion en rapprochant les différents événements. Mais, finalement, la comparaison est plus intéressante qu'il n'y paraît, et se retourne largement contre ses instigateurs: la différence de traitement de la situation par les autorités brésiliennes et par les autorités turques est criante, cruelle. D'un côté, des tentatives d'apaisement (certes pour l'instant infructueuses), de l'autre, une excitation perpétuelle, des accusations fantasques, et des atteintes aux droits à tous les niveaux... Quelle sévère leçon politique!

D'ailleurs, cette affaire a eu le mérite de faire réfléchir tout le monde sur ce qu'est réellement une démocratie, ce qui rend l'utilisation de la force légitime ou non, comment doit fonctionner l’équilibre des pouvoirs, comment l'information doit être laissée libre, etc. (voir, entre beaucoup d'autres, l'excellent article de The Economist sur le "majoritarisme" et les "démocraties-zombies"). C'est un enseignement qui ne serait pas inutile pour la France, où le fait majoritaire étouffe souvent le reste du débat, à la différence de pays plus habitués aux coalitions et aux compromis.

Plus fondamentalement, je me suis soudain demandé si nous ne faisions pas fausse route en considérant les mouvements arabes ou turcs comme plus sérieux que les mouvements des indignés espagnols ou brésiliens. Le fait qu'ils interviennent dans des dictatures ou dans des démocraties douteuses nous les ont rendus bien plus crédibles, plus essentiels aussi. Pourtant, est-ce que nous n'exagérons pas la dimension libertaire de ces mouvements, aux dépends de leur dimension "socio-économiques"? Les Brésiliens se révoltent contre la corruption et le clientélisme, paraît-il, mais n'en est-il pas de même à Istanbul, à Madrid, à Grenade, en Italie, ou à Tunis?
Par exemple, s'il n'y avait pas eu le vaste système de prédation organisé par le clan Ben Ali, aurait-on seulement vécu une "révolution du jasmin", ou est-ce que les Tunisiens auraient pu s’accommoder d'un système autoritaire, mais économiquement juste (si toutefois un tel système peut exister sur le long-terme)? Un autre exemple: ce n'est pas tant la destruction des maigres arbres du parc Gezi qui a provoqué une étincelle, mais plutôt le contexte affairiste louche qui entoure les multiples opérations immobilières que connaît Istanbul, les soupçons d'enrichissement d'une certaine classe politique... le "Sud" dans toute sa splendeur!