lundi 30 décembre 2013

Donnant au narrateur le même nom qu'à l'auteur de ce livre...

Ai lu dans le désordre le Dictionnaire amoureux de Marcel Proust de Jean-Paul et Raphaël Enthoven* (cette écriture de père et fils donne lieu à quelques échanges assez amusants, désaccords, anecdotes qu'il faut attribuer à l'un ou l'autre - on aurait pu en faire encore davantage dans cette direction!). J'espère que ce livre donnera envie à certains, ne serait-ce que pour briller en société ou en examen, d'ouvrir "la Recherche". Quand je l'avais refermée, j'avais été pris du sentiment d'être le "dernier des Mohicans", d'être parmi les derniers dans ce monde qui aurait lu l’œuvre entière et qui allait en tirer profit - de ressembler à cet émouvant patricien de Carthage recueillant les anciennes idoles que plus personne ne vénérait, les enterrant dans les profondeurs de sa villa en espérant qu'un jour les hommes renieraient leur nouvelle religion (je n'arrive pas à retrouver trace de cette histoire, mais je suis sûr de ne pas l'avoir rêvée).

Bien sûr on pourrait ajouter des milliers d'entrées à ce dictionnaire. J'en aurais au moins ajouté une sur la technologie, car Proust ne fait pas que décrire un univers vieillot rempli de princes et de duchesses, mais évoque avec précision son époque - quoiqu'elle ne soit jamais son sujet principal, évitant ainsi les lourdeurs sociales ou philosophiques de tant de romans tombés en poussière. Il y a des pages entières sur le téléphone (décrites dans le Dictionnaire), sur la voiture, et un passage magnifique sur la première vision d'un avion dans le ciel de Normandie (si je ne me trompe pas (?), il n'a toutefois pas évoqué le cinéma). Je suis certain que Proust, s'il avait dû vivre aujourd'hui, aurait su tirer parti des nouvelles technologies et, tout en râlant contre elles, les aurait utilisées comme un parfait 'geek' (ne permettent-elles pas d'exister en société à sa guise sans avoir à échanger ses miasmes, et de s'en retirer facilement par un simple clic de souris?). Dans l'entrée "Skype" les auteurs ont même déniché une phrase où Proust reprend l'idée de "photo-téléphone": "Sa voix était comme celle que réalisera, dit-on, le photo-téléphone de l’avenir: dans le son se découpait nettement l'image visuelle".

Autre chose amusante qui n'avait pas manqué de m'intriguer: dans l'entrée "Invisible et innommée" les auteurs donnent une grande importance à cette mystérieuse "femme de chambre de la baronne Putbus", que le narrateur ne parvient jamais à rencontrer, qui circule dans le récit comme une ombre jamais expliquée, et qui justifierait peut-être à lui seul le titre de la "Recherche"...

Enfin il reste une dernière question: de qui doit-on être amoureux? Sans doute pas du vrai Marcel Proust, dont le personnage est certes touchant mais un peu grotesque (voir, à l'entrée "James Joyce" ou "Bergson" le récit de leur discussion stupide dans une réunion mondaine)... Ni encore moins du narrateur, dont l'un des auteurs souligne à juste titre la fatuité (et qui est par ailleurs singulièrement empoté dans son comportement avec Albertine - diable! pourquoi lui faut-il deux livres pour ne même pas arriver à ses fins! - mais entre temps le chemin ne fut pas désagréable). Les auteurs reprennent l'idée d'un "narra-proust", ni purement narrateur comme personnage de fiction, ni purement Proust comme personnage réel, c'est-à dire plus simplement Proust écrivant, tout le reste n'ayant pas grande importance et pouvant être mélangé sans crainte du paradoxe: "Dès qu'elle retrouvait la parole elle disait: "Mon" ou "Mon chéri" suivis l'un ou l'autre de mon nom de baptême, ce qui en donnant au narrateur le même nom qu'à l'auteur de ce livre eût fait: «Mon Marcel», «Mon chéri Marcel»."

vendredi 27 décembre 2013

Capitalisation régalienne

Ai achevé la lecture du pavé de Henri Wesseling intitulé Le partage de l'Afrique, et qui couvre la période 1880-1900 durant laquelle l'Europe est passée de la possession de quelques modestes comptoirs côtiers à une répartition complète du continent africain, Éthiopie et Liberia mis à part.
Ce livre est passionnant à plus d'un titre (histoire collective, histoires individuelles (un peu répétitivement présentées), négociations, etc.), mais j'y vois surtout, une fois de plus, l'infirmation des grandes fresques géopolitiques ainsi que des clichés sur cette époque: en réalité, la colonisation n'a jamais fait parti d'un grand dessein, mais a surtout été le fruit d'un manque d'imagination (que faire de notre puissance?) et d'un certain suivisme, une succession de hasards, et la passion d'un tout petit nombre, ni des élites traditionnelles ni des peuples. L'Angleterre en particulier ne tenait absolument pas à entretenir ce poste de dépense, et ne s'y est engagée qu'avec de nombreuses réticences: "Toute cette compétition dans le but d'acquérir des colonies a quelque chose d'un peu ridicule et j'aimerais que nous puissions éviter d'y participer" (Lord Granville, ministre britannique des Affaires étrangères).
La conclusion est révélatrice: "Il est étrange et même, d'une certaine façon, attristant que le colonialisme européen qui fut, selon les Africains d'aujourd'hui, tellement néfaste, ait revêtu aussi peu d'importance pour l'Europe elle-même". D'ailleurs, l'Afrique occupe toujours aussi peu de place pour nous; c'est un sujet qui n’intéresse que des cercles d'intérêts restreints, et qui ne fait absolument pas consensus: l'intervention en Centrafrique fera sans doute l'effet d'un révélateur, s'il en était encore besoin - et François Hollande se trompe de combat quand il croit être dans une phase de "capitalisation régalienne"*: on croirait entendre Jules Ferry cherchant inutilement à faire oublier l'Alsace-Lorraine, et se persuadant qu'une guerre contre des sauvages armés de sagaies suffit à restaurer la puissance. 

mercredi 25 décembre 2013

Un recensement de toute la terre

Messe de minuit: "Or, il advint, en ces jours-là, que parut un édit de César Auguste, ordonnant un recensement de toute la terre. Ce premier recensement eut lieu pendant que Quirinius était gouverneur de Syrie. Et tous allaient se faire inscrire, chacun dans sa ville." (Luc, 2:1-3) Cela m'a rappelé que l’apparition du Christ a coïncidé avec cette première "mondialisation" où l'Empire romain avait quasiment acquis sa forme maximale et où, comme aujourd'hui avec nos Google maps et nos réseaux sociaux, il paraissait possible de recenser "toute la terre". D'ailleurs, le développement de l’Église n'aurait sans doute pas été possible sans le mobilité des hommes et des idées à l'intérieur du monde romain, sans l'existence de langues communes. A toute autre époque, le message se serait certainement enfermé dans un peuple ou dans des frontières, évanoui, dispersé dans le désert comme les manuscrits de Qumran, et n'intéresserait plus que quelques historiens oisifs. Le temps était venu.

dimanche 22 décembre 2013

Mystérieuse Turquie

Mystérieuse Turquie... Après six mois de calme relatif, quelques surprenantes arrestations venues de là où on ne les attendait plus viennent révéler la nature corrompue et malsaine du système, d'autant plus malsaine que la principale réaction du pouvoir a été de muter les chefs de la police qui contribuaient à la procédure judiciaire (quel bel état de droit!)... Bien sûr, comme à l'accoutumée, les théories du complot foisonnent - celle qui voit le mouvement de Fettullah Gülen à la manœuvre semble assez crédible (qui ferait suite à la fermeture des écoles privées parrainées par le mouvement). 
Cela montre à quel point nous connaissons mal ce pays, en Occident: obsédés par la division laïcs/religieux qui entre dans notre mode de pensée, nous avons oublié que d'autres forces pouvaient être à l’œuvre, à l'intérieur des partis religieux eux-mêmes. Mais j'ignore ce que vaut ce mouvement: réelle réaction au régime autoritaire introduit par l'AKP, ou luttes de personnes? Ces événements semblent bien plus déstabilisateurs encore que les tensions de Gezi. Tout le monde doit retenir son souffle en Turquie... Et la réaction de Recep Tayyip Erdoğan, ses discours véhéments et ses manœuvres désordonnées, sont bien compréhensibles: il a dû sentir le vent du boulet, la "chute d'un empire", pour reprendre la formule frappante (et sans doute jamais prononcée) de l'ambassadeur américain.

vendredi 20 décembre 2013

Diable de Tasmanie

Lors de cette soirée franco-australienne un peu ennuyeuse, j'ai été gagné par le désir de rejoindre l'autre côté de la planète, de visiter cette grande île triangulaire dont la forme étrange me plaisait. Je me prenais pour un explorateur d'autrefois: "Comment seulement l'aborderais-je, pensais-je, et quels risques insensés! pour une chance si infime d'atteindre mon but. Qu'aurais-je à apporter finalement, à cette terre comme aux autres? En toute chose je ne veux être qu'un voyageur, jamais un cultivateur, ni même un jardinier... Et n'ai-je pas dépassé l'âge du voyage? Que pourrais-je trouver désormais qui n'exigerait pas de moi un attachement solide? Je rêve!... Je rêve quand je crois qu'il me suffirait d'agir en touriste pour satisfaire et être satisfait... Avec quels moyens, d'ailleurs, pourrais-je seulement satisfaire? Comme si ma connaissance pouvait être un cadeau pour quiconque!"
Je méditais déjà tout cela quelques heures auparavant, tandis que j'errais sans but dans des quartiers sombres et vides de Londres, espérant l'inespérable, avant que la rencontre du "diable de Tasmanie" me fasse comprendre l'absurdité de mes tentations. Ainsi, je suis persuadé qu'au moment de partir je ne saurais même pas comment me préparer, ni que faire; je resterais stupidement interdit devant l'avion, n'osant marcher un pas de plus, pesant le pour et le contre; et quand bien même j'embarquerais finalement, comme je l'ai fait il y a longtemps, je serais surpris et attentiste, gauche - comportement que l'on peut à la limite excuser à l'adolescent qui part pour la première fois au long cours, de l'autre côté de la planète, mais jamais à l'homme de trente ans! C'est l'avantage et l'inconvénient du temps qui passe: on ne peut plus faire l'innocent, ni prétendre être là par hasard.
Oui, et il serait temps pour moi de me mouvoir dans ce monde, au lieu de m'abriter derrière pseudonymes et masques, de troquer ma sécurité précaire contre la solide assurance de ceux qui, comme le "diable de Tasmanie", habitent réellement la terre ou, pour utiliser une métaphore de plus, ne sont pas les locataires de leur existence, aux baux sans cesse réajustés et menacés de résiliation, mais en ont acquis, à force d'échecs assumés et de confiance en l'avenir, les titres de propriétés irrévocables!


Ou peut-être me faudra-t-il définitivement admettre que je n'irai jamais en Tasmanie, que j'y trouverai de toute façon les mêmes paysages, les mêmes joies et peines que dans les régions tempérées où je réside, que ce n'est donc pas un renoncement très regrettable, et que, par conséquent, il vaudrait mieux cesser d’écrire à ce sujet.

mercredi 18 décembre 2013

Cadavre dans le placard (3)

Toutes ces recherches archéologiques sont finalement bien décevantes: on espère découvrir des trésors, de magnifiques statues, des hiéroglyphes dignes du Roman de la momie*, et l'on ne trouve que d'insignifiants tessons, des blocs mal taillés que l'on n'oserait pas exposer, et qui ont à peine une valeur historique. Par exemple, j'ai déterré l'ancêtre préhistorique de ces Brèves, un document d'une vingtaine de pages déjà divisé suivant les mêmes chapitres, datant de 2003. Comme dans le journal déjà mentionné, je n'y vois que le copié-collé de tous les préjugés de mon entourage: j'avais essayé de sortir de la forme du journal intime, mais c'était une sortie malheureuse... A vingt ans (et sans doute aussi à trente...), il ne sert à rien de chercher à écrire sur le monde, la cité et l'homme ("la psychologie de l'homme et de la femme n'est jamais que celle des lions et des lionnes" - cela ne veut rien dire!); j'aurais mieux fait de m'aventurer dans les profonds secrets des grands maîtres que j'ai rencontrés par la suite, et de leur voler le feu!
Généreux envers moi-même comme d'habitude, j'avais eu la bonne idée d'oublier l'existence de ces feuilles, et elles s'étaient effacées de ma mémoire, à part quelques idées qui ont trouvé leur chemin à travers les années, notamment dans le section "épilogue" (la seule qui vaille quelque chose, puisque c'était le seul sujet que je connaissais à peu près) :
  • Le péché est facile à éviter au contact des autres. Car les autres nous poussent à chaque instant à l’obéissance, attentifs qu’ils sont, peut-être, à pouvoir nous mépriser. Sans parler de l’orgueil que l’on peut éprouver à être vertueux. Non, la vraie tentation, c’est dans la solitude qu’elle mûrit, pour exploser ensuite, dans la solitaire compagnie des autres. 
  • J’ai cherché à transformer en mots mes victoires et mes échecs – surtout mes échecs, d’ailleurs. C’est comme s’il avait mieux valu pour moi que tout rate. 
  • Alors, me voilà en quelques mots : je suis incapable d’exprimer un désir vis-à-vis des autres, en bien comme en mal. Et je déteste être interrogé sur moi, alors même que j’aime parler de moi. Je hais les questions, j’aime les réponses. 
  • Que l’on puisse éprouver de l’amour pour moi m’a toujours paru quelque chose d’assez baroque. 
  •  Une ville qui me tient à cœur : Istanbul, la ville magique de l’enfance, et la ville de l’amour enfin possible. 
  • J’ai « le cul entre deux chaises », voire entre trois, ou quatre chaises ! Et cela vaut dans tous les domaines de mon existence. Je suis là où l’on ne m’attend pas. Du coup, on ne m’attend nulle part.

dimanche 15 décembre 2013

Dans le taxi

Je me demande si mon appréhension à prendre le taxi, outre ma timidité habituelle et la méfiance universelle à l'égard de la profession, ne vient pas du fait qu'il faut indiquer son chemin, expliquer clairement où l'on veut aller - alors que je répugne toujours à révéler mes intentions, que je dissimule mes projets secrets derrière d'autres projets à moitié secrets, même dans ces brèves où je me pique d'une soi-disant authenticité.

dimanche 8 décembre 2013

Sant'Ambrogio


Je ne comprends pas vraiment les huées qui ont clos la première de la Traviata à la Scala de Milan, auxquelles seule a échappé l'excellente Diana Damrau. Les critiques des "traditionalistes" à l'égard de la mise en scène me semblent particulièrement déplacées: s'ils veulent voir des mises en scène modernistes "cheap" qui n'apportent rien à l'opéra, qu'ils viennent donc à la Monnaie de Bruxelles qui en a fait sa spécialité! L'idée de les faire cuisiner des pizzas dans le second acte était plutôt sympathique, et le troisième acte qui sous-entend que Germont père et fils n'ont aucun remords, et cherchent juste à se donner bonne conscience, était une relecture audacieuse mais pertinente.
Quant au ténor Piotr Beczala, je l'ai trouvé très correct; il a sans doute été victime de la mise en scène qui faisait de lui un personnage sans grande consistance... à moins qu'il n'ait été effectivement victime d'une cabale italienne, comme il l'a suggéré sur son compte facebook dans une réaction typiquement polonaise (refus de prendre le moindre recul par rapport à la critique, damnation éternelle, et renvoi à un problème de nationalité...).
Au contraire, cet opéra était remarquable et m'a fait réentendre avec une oreille neuve des airs dont je m'étais lassé et que je ne voulais plus écouter. Par exemple le magnifique début du second acte "De' miei bollenti spiriti", ou l'air "Sempre libera" qui me fait penser à l'orgasme que Violetta se promet d'avoir quelques instants après, une fois qu'Alfredo l'aura rejointe (cela est plus évident dans cette version très réussie chantée par Joan Sutherland).

dimanche 1 décembre 2013

Grappins (2)

L'ami auquel je pensais cite un de ses élèves qui, lorsqu'on lui demandait pourquoi un auteur écrivait ses mémoires, répondit que c'était pour se souvenir de sa propre vie - bien davantage que parce qu'elle vaudrait la peine de quelque récit ou qu'elle devrait intéresser quiconque... j'en dirais volontiers autant de ces brèves. L’Alzheimer des mes deux grands-mères m'incite à la plus grande circonspection sur mes capacités futures, et quand viendra le moment où je voudrai m'atteler à des mémoires, où j'aurai vraiment le désir de me retourner, tout aura disparu: les lieux, les noms, les situations, les désirs, les mots... Je vais oublier Istanbul, oublier Della Rovere, oublier Paul Toussaint comme les autres. Ne surnageront que quelques événements insignifiants, peut-être fictifs, incohérents; on m'évoquera mes livres ou mes enfants, mais ce seront d'élégants étrangers qui ne provoqueront dans mon regard aucune émotion.

Qui parlera pour moi des splendeurs de ma vie d'alors, de ses échecs aussi, quand tout sera devenu indifférent sauf l'heure du dîner et le dessin d'un nuage, par la fenêtre? Je serai dans ces pages plus que dans n'importe quelle chambre, et l'on me connaîtra mieux en lisant ces messages qu'en venant me visiter pour de vrai. Ces jours ne seront pas tombés en vain. Je pourrai encore en suivre le déroulement, des années après, sans le secours inefficace du souvenir. Ma vie sera semblable aux ruines de Babylone ou de Samarra, dévorées par le fleuve et par le vent, dunes informes d'où n'émergent que quelques briques plus solides que les autres, mais dont le dessin exact se révèle soudain vu d'en haut, le tracé précis des rues, des jardins, des places publiques, et des temples auxquels j'aurai apporté, jour après jour, mes timides offrandes.

Requiem (3)

Je m'étais arrêté à la surface de la beauté, oui. J'ai été fasciné par l'enchaînement magique des mots, sans m'assurer que j'attribuais à chacun sa place exacte, sans me soucier aucunement du sens, ni d'offrir une connaissance du visible ou de l'invisible. Le résultat ne pouvait qu'être faible, si l'on excepte quelques spontanéités fortuites- c'était aussi le risque de la rime qui transforme tout en jeu - mais, d'abord, comment ai-je pu croire qu'écrire serait chose facile?
Pour citer Jean Clair*, "comme un nouveau riche dilapide ses trésors (...) j'ai été trop léger" - mais plus que cela, j'ai manqué de respect à la langue. Je suis entré dans la mosquée, avec mes chaussures crottées, les mains prêtes au sacrilège, je me suis tourné dans la mauvaise direction, et j'ai ânonné sans honte des paroles incohérentes. J'ai interprété l'hermétisme en vogue dans la poésie du XXe siècle comme une licence d'écrire n'importe quoi, de me reposer sur des clichés ou des associations chanceuses, "narcisse exsangue", tandis que de vrais poètes, travailleurs et habités, d’authentiques "voyants" non grisés par l'ivresse de leur propre verbe, tissaient au contact du monde une œuvre à même de l'envelopper.
Et au lieu de craindre le regard des autres, j'aurais dû m'y soumettre, récolter leur ricanement, progresser... Est-il trop tard? N'est-ce pas maintenant que je devrais-mener cette entreprise, au plus fort de mon enthousiasme, maintenant que j'ai compris une ou deux choses, et que je sais auprès de qui je dois poser mon chevalet?