L'ami auquel je pensais cite un de ses élèves qui, lorsqu'on lui demandait pourquoi un auteur écrivait ses mémoires, répondit que c'était pour se souvenir de sa propre vie - bien davantage que parce qu'elle vaudrait la peine de quelque récit ou qu'elle devrait intéresser quiconque... j'en dirais volontiers autant de ces brèves. L’Alzheimer des mes deux grands-mères m'incite à la plus grande circonspection sur mes capacités futures, et quand viendra le moment où je voudrai m'atteler à des mémoires, où j'aurai vraiment le désir de me retourner, tout aura disparu: les lieux, les noms, les situations, les désirs, les mots... Je vais oublier Istanbul, oublier Della Rovere, oublier Paul Toussaint comme les autres. Ne surnageront que quelques événements insignifiants, peut-être fictifs, incohérents; on m'évoquera mes livres ou mes enfants, mais ce seront d'élégants étrangers qui ne provoqueront dans mon regard aucune émotion.
